L’oralité est un concept souvent évoqué en didactique du fle. Quels liens entretient-elle avec la phonétique dans l’univers de l’enseignement/apprentissage d’une L2? Proposition de réponse dans ce billet.
Oral et oralité.
Quelle différence entre ces deux termes? Pas forcément facile de répondre tant ils sont difficiles à circonscrire.
Qu’est-ce que l’oral? A priori, la question semble naïve tellement la réponse est évidente : l’oral, c’est quand on parle. C’est pourtant simple ! On pourrait ajouter : l’oral, c’est aussi quand on écoute. Toutefois, l’oral est très souvent défini non par lui-même mais au moyen d’un quasi-synonyme. En effet, il n’est pas rare qu’une personne ait recours à un autre terme pour le qualifier si on lui demande de préciser sa pensée pour expliquer ce qu’est l’oral. J’avais présenté une liste non exhaustive de quasi-synonymes permettant de la qualifier/ définir dans un article du blog. Voici la figure, pour rappel:
L’oralité est apparue à la fin des années 80 et a été développée par la suite par des phonéticiennes comme E. Lhote, R. Llorca ou E. Galazzi. Une belle étude en est proposée dans le récent ouvrage de C. Weber.[litetooltip targetid= »litetooltip_1475587144366″ location= »top » opacity= »1″ backcolor= »#E54C3C » textcolor= »#ffffff » textalign= »center » margin= »5″ padding= »10″ trigger= »hover »]
Corine Weber Pour une didactique de l’oralité. Enseigner le français tel qu’il est parlé Paris, Didier, 2013
[/litetooltip] L’oralité concerne tous les systèmes entrant en synergie lors de la production comme de la perception langagières. La succession de sons selon les règles propres à une langue engendre des groupements prosodiques -syllabes, mouvements rythmico-intonatifs- concomitants d’une gestualité co-verbale qui
- rythme, scande le discours,
- l’illustre de diverses façons,
- concourt à délimiter des unités plurisémiotiques de signification.
Ce qui est tout bénéfice pour l’apprenant étranger quand il y est sensibilisé. Un autre article du blog consacré à la gestualité parolière fournit des informations complémentaires.
L’oralité s’inscrit non dans le cadre de la phrase (qui de toute façon n’existe pas à l’oral) mais dans celui du discours et de l’interaction. Ce qui a pour conséquence une vision dynamique des échanges langagiers. Le sens n’est pas donné a priori; il se construit tout au long de l’interaction par des ré-ajstements successifs, des interprétations se modifiant au fur et à mesure de l’apport d’informations nouvelles. L’univers de croyance de chacun des protagonistes, loin d’être figé, est flexible et évolutif. Il convient de considérer l’apprenant comme un véritable acteur social qui réagit en fonction de sa biographie, de ses attentes et croyances. Dans une situation de communication donnée, donc originale par définition, il bénéficie d’un rôle et d’un statut, est dans telle disposition psycho-affective (pouvant se modifier au cours de l’échange communicatif), a des intentions ou des intentionnalités plus ou moins définies clairement. L’ensemble est d’une grande complexité. Ce d’autant que tous ces éléments font partie de lui, ne sont ni accessibles ni gérables par l’enseignant. Mais contribuent aux stratégies communicatives utilisées par l’acteur social.
La figure suivante est une tentative de schématisation des paramètres constitutifs de cette approche de l’oralité.
Oralité et phonétique en L2.
Introduire le concept d’oralité en phonétique corrective du fle revient à complexifier davantage un problème qui est déjà loin d’être simple! Car cela amène à convoquer de nombreux paramètres s’entrecroisant et appartenant à des niveaux différents du langage. Cela amène également le phonéticien didacticien à se poser maintes questions… et à se sentir galvanisé par le désir de répondre à de nouveaux défis. Je propose la figure suivante pour tenter de cerner les rapports entre phonétique et oralité dans une perspective d’amélioration de la prononciation en L2:
Les 4 cercles renvoient aux différents paliers de la phonétique corrective. Certains ont déjà été exposés dans cet article. Les cadres, dont le n° renvoie à un cercle donné, précisent les niveaux d’intervention en classe. L’ensemble fonctionne de façon absolument synchrone -d’un point de vue théorique. Dans le cadre de l’oralité, la phonétique corrective se mue en une phonétique holistique.
Le palier 1 est consacré à la matière sonore de la langue. Ce qui signifie travailler simultanément sur les unités segmentales -voyelles et consonnes- et suprasegmentales -rythme et intonation-.
le palier 2, synchrone au palier 1, convoque la gestualité. Que le phonéticien doit envisager à trois niveaux:
- la gestualité phonogène génère les mouvements articulatoires produisant les sons de parole; elle est aussi reliée aux phénomènes physiologiques de tension et de relâchement;
- la gestualité co-verbale est nécessairement associée à la parole. Quand on parle, on produit naturellement des gestes -tête, mains, tronc- réalisés en même temps que des mouvements rythmico-intonatifs;
- la gestualité communicative se compose de gestes divers -déictiques, quasi-linguistiques…-;
la palier 3 est celui de l’oralité. J’y distingue les deux concepts abondamment utilisés en didactique de communication et d’interaction. En opérant le distinguo suivant:
la communication renvoie aux aspects psychologiques et techniques de l’oralité:
- rôle et statut des acteurs
- cadre spatio-temporel de la situation de communication
- conditions de l’échange: en face à face, à distance, en différé, par quel média, etc.
l’interaction concerne les aspects sociaux et cognitifs. D’où les liens avec la culture.
Le palier 4 est celui de la culture qui imprègne les 3 autres cercles:
- un geste articulatoire est culturel: /i/ présente des différences si on compare les manières de le réaliser d’un Français, d’un Espagnol ou d’un Anglais, par exemple;
- le rythme et l’intonation diffèrent d’une langue à une autre. Et introduisent des nuances de sens échappant complètement à l’apprenant d’une L2.
- la gestualité communicative n’est pas identique d’une culture à l’autre, loin s’en faut. Certains gestes sont communs à deux cultures données, un geste appartenant à une culture peut ne rien signifier dans une autre ou bien avoir un sens très différent. D’où risques d’incompréhension et/ou de « bavures » culturelles dans la communication et l’interaction.
Envisager la phonétique corrective dans le cadre de l’oralité revient à lui donner une autre dimension:
- la phonétique corrective devient en quelque sorte une phonétique holistique. Tous les canaux de réception et de production de l’apprenant sont sollicités, et non plus prioritairement les modalités auditive et articulatoire;
- le sens est omniprésent dans chacun des paliers évoqués. On ne travaille plus la phonétique pour elle-même, pour simplement améliorer sa prononciation. Désormais, on intègre la phonétique comme partie prenante des outils participant de l’élaboration de la signification.
Le programme ainsi esquissé est nettement plus ambitieux. Il est également plus réaliste car replaçant la phonétique en contexte. Toutefois, si sur le plan des intentions les propositions énoncées dans cet article vont dans le bon sens, il reste à les appliquer dans la classe. Et le travail de « pédagogisation » est loin d’être évident tant les paramètres à gérer sont nombreux avec, en plus, une part importante d’improvisation et d’imprévisibilité due à la nature même de l’oralité.
Dans tous les cas, que de blé à moudre pour les phonéticiens didacticiens et les profs passionnées par ces questions!