Cet article est destiné à souligner l’importance de la syllabe en tant qu’unité essentielle en français en rappelant qu’elle constitue le théâtre de diverses manifestations et phénomènes sonores.
Présentation de la syllabe en français.
Dans les lignes ci-dessous, je reprends un extrait de cet article publié dans le blog.
La syllabe est l’unité phonétique immédiatement supérieure au phonème. Elle se compose d’un noyau vocalique et d’une ou plusieurs consonnes éventuellement. C’est le « schème élémentaire gouvernant tout groupement de phonèmes », pour reprendre Jakobson. La syllabe possède une certaine unité acoustique, articulatoire et perceptive. Ainsi, chaque syllabe correspond à une unité d’autonomie vocale constituée par un souffle: si vous mettez la paume de la main devant votre bouche en parlant, il y a autant de syllabes que de bouffées d’air ressenties. La syllabe joue un rôle très important en français car c’est l’unité rythmique pulsionnelle de base en production comme en perception. Elle constitue une unité de segmentation pour les sujets de langues romanes et ceci est particulièrement vrai pour le français.
En français, les structures syllabiques sont très régulières et les frontières syllabiques très nettes. La majorité des syllabes est ouverte, c’est-à-dire se terminant par une voyelle prononcée. Cela concerne environ 80% des syllabes. Celles qui sont fermées, soit s’achevant par une consonne prononcée -et non écrite!- concernent environ 20% des productions. Il en résulte que la voyelle est la vraie star de la syllabe et que les consonnes « sonnent avec » en s’agrégeant à la voyelle suivante par le jeu des enchainements. Ce que résume le schéma suivant:
La syllabe, lieu des assimilations.
Pour commenter ce phénomène importante en français, je vais m’appuyer qur un tableau des consonnes peut-être inhabituel pour certains d’entre vous.
- Les bruyantes sont des consonnes « très consonnes ». Certaines sont apériodiques -car les cordes vocales ne vibrent pas- ; d’autres qui sont périodiques -les cordes vocales vibrent mais la participation laryngée n’est pas ce qu’il y a de plus important-. Les bruyantes sont des bruits irréguliers, plein d’instabilité acoustique, pouvant contenir des fréquences au-delà de 2 000Hz, et qui ne sont pas de véritables harmoniques-.
- Les sonantes regroupent une catégorie assez hétéroclite de consonnes caractérisées par un rétrécissement du canal vocal entrainant l’apparition de structures formantiques moins stables que celles des voyelles. Certains auteurs qualifient les sonantes de consonnes vocaliques. Toutes les sonantes sont voisées en principe.
Vous trouverez des informations complémentaires dans cet article de C. Meunier.
Ce tableau va permettre de comprendre aisément des règles phonético-phonologiques liées au contact de consonnes entre elles. Elles peuvent être source de difficultés pour un apprenant étranger. Car deux consonnes en contact à l’oral ne le sont pas nécessairement à l’écrit où elles peuvent être séparées par
- un blanc: Par là, sept jours, un fil rouge, pour nous…
- une voyelle « muette »: un méd(e)cin, le déj(eu)ner, à s(e)taprèm, p(eu)t-êt(re) pas, à d(e)main…
A l’oral, au sein des bruyantes, l’opposition sourdes/sonores se manifeste dans toutes les positions de mots lexicaux: initiale: pâle / balle; médiane: assure / azur; finale: hache / âge, etc.
Les sonantes ont un fonctionnement différent. Elles sont traditionnellement présentées comme étant sonores. En fait, elles sont sourdes ou sonores en fonction de leur environnement consonantique. Dans une séquence C1C2V où C1 est une bruyante, C2une sonante suivie de voyelle, il s’opère une assimilation progressive: la bruyante influence la sonante subséquente:
- si elle est sonore elle communique ce trait à sa voisine C2,;
- à l’inverse C2 devient sourde si telle est la nature de la C1 précédente.
Ceci apparaît nettement en consultant les deux figures suivantes où je reprends la terminologie de Wioland à propos de deux consonnes successives. Elles forment
un groupe quand elles appartiennent à la même syllabe;
une suite quand elles sont séparées par la limite syllabique.
Les deux figures ci-après illustrent ces phénomènes dits d’assimilation.
La syllabe, lieu de la coarticulation.
Quand on parle, les sons de parole ne sont pas produits les uns après les autres, comme à la parade, comme les perles d’un collier. N’oubliez pas que nous pouvons produire jusqu’à 12 sons par seconde ! Ce qui équivaut à 3 ou 4 syllabes. La dimension temporelle de la production de la parole est essentielle. Les différents articulateurs se déplacent à des vitesses variables. C’est par exemple le cas pour les mouvements de la langue et ceux de la partie mobile du voile du palais, la luette. Il peut se produire un déphasage. Qui provoque des phénomènes d’assimilation par exemple.
La coarticulation, c’est ça. C’est la combinaison parallèle et temporelle de plusieurs gestes. La production rapide de segments sonores successifs n’est possible que parce que les articulateurs se chevauchent dans le temps. C’est une évidence avec le phénomène d’anticipation vocalique caractérisant la syllabation du français. Observez-vous dans un miroir pendant que vous articulez mot brusque. Les lèvres avancent dès l’émission de [b], la voyelle [y] est labialisée, le phénomène se poursuit sur les consonnes la suivant dans la même syllabe. Or, aucune des consonnes [b], [ʁ], [s], [k] n’est labialisée dans la description canonique qui en est faite.
Si nous devions réaliser tous les gestes articulatoires, cela exigerait un trop gros effort et nous ferait perdre du temps. La coarticulation est une sorte de compromis. Mais qui reste garant de l’intelligibilité de la parole. C’est ça qui est important. Parvenir à communiquer dans un temps raisonnable et faire comprendre de l’interlocuteur. De même, interpréter ses propos sans être gêné par des « perturbations » de forme…
C’est la coarticulation qui explique la variabilité sonore et motrice des sons. Elle se réalise
- en fonction du contexte de production de tel ou tel segment,
- de sa position dans la syllabe,
- par rapport aux accentuations,
- en fonction du rythme de parole du sujet…
Il est donc normal qu’un phonème soit actualisé (réalisé) de plusieurs façons. Dans tous les cas, les locuteurs d’une langue donnée l’identifient sans aucun effort. Puisqu’ils possèdent en commun les mêmes sensations sonores des vocalisations de leur langue.
L’influence réciproque des sons dans le cadre de la syllabe.
Pour des profs intéressés par la correction de la prononciation du français comme langue étrangère, le schéma ci-dessous est important. Il renvoie aux fondements même de la correction phonétique tels qu’exposés ici.
De façon générale, à l’intérieur d’une syllabe:
- la consonne précédant la voyelle en influence le timbre;
- la voyelle agit sur la tension de la consonne précédente;
- si la syllabe est fermée par une consonne, cette dernière influence la durée de la voyelle, en l’abrégeant ou au contraire en laissant la star de la syllabe prendre ses aises.
☞ le timbre de la voyelle suivante
Pour rappel, voici les trois tableaux servant de référence au professeur pratiquant la correction de la prononciation afin d’agir sur
☞ la tension de la consonne précédente
☞ la durée de la voyelle précédente
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