Communication, information, message. Trois termes ayant fait l’objet d’innombrables exégèses en linguistique ainsi qu’en didactique des langues. Et qui sont aujourd’hui encore sous le feu des projecteurs. Mais avec un changement complet de paradigme dû à l’avènement de ce qu’il est convenu d’appeler la révolution numérique. Un contexte nouveau, original, protéiforme, aux contours indéfinis, aux conséquences imprévisibles, engendrant une métamorphose sociétale inexorable et provoquant un changement radical dans les pratiques et habitudes des acteurs du monde éducatif. Premier article d’une série consacré à l’éducation numérique dans le monde du fle.
Le schéma général de la communication humaine.
Retour aux sources.
Le structuralisme est tout-puissant en linguistique au début des années 60. Et repose sur le principe de l’immanence: le langage est à étudier pour lui-même et par lui-même. En d’autres termes, le linguiste s’intéresse aux seules structures, à leur description, leurs propriétés formelles, leurs fonctions, les rapports qu’elles entretiennent avec les autres structures du système. Le reste n’est d’aucun intérêt pour lui. Car extérieur au système. En 1963, Roman Jakobson jette un gros pavé dans la mare en publiant son célèbre schéma qui connaîtra une fortune extraordinaire. Et qui ouvre la voie à de nouvelles interrogations dont celle-ci: à quoi le langage sert-il? La réponse étant: à transmettre des informations d’un individu à l’autre au moyen d’un code commun.
Pour rappel, voici le schéma de Jakobson. La définition de chaque élément est donnée en passant le curseur sur le bouton rouge, sa fonction en pointant sur le bouton vert.
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Aux origines d’une conception moderne de la communication humaine.
Jakobson s’est inspiré d’un article publié par Shannon en 1948, Une théorie mathématique de la communication, qui marque un tournant majeur dans la conception de l’information. [litetooltip targetid= »litetooltip_1483877004288″ location= »top » opacity= »0.8″ backcolor= »#E54C3C » textcolor= »#ffffff » textalign= »center » margin= »5″ padding= »10″ trigger= »hover »]
A cette époque, les mots information et communication étaient de quasi synonymes.
[/litetooltip] Ce qui explique la terminologie adoptée par le linguiste: émetteur, récepteur, canal, bruit, etc. Pour Shannon, qui est un ingénieur, l’information est envisagée de manière abstraite en terme mathématique. Le sens importe peu. L’information est quantifiée en bits (binary digits). N’importe quel message peut être transmis de façon binaire; le contenu sémantique est fonction du nombre minimal de bits nécessaires et suffisants pour le décrire. Le bit comme unité de mesure permet de quantifier la qualité de d’information à transmettre dans un message. Tout canal de transmission peut transmettre une quantité d’informations de manière fiable; c’est la capacité du canal mesurée en nombre de bits par seconde. Au delà ce cette limite, des bruits peuvent apparaitre qui parasitent la qualité de la transmission et risquent d’altérer le message.
L’entropie est utilisée pour déterminer la quantité d’informations nécessaires pour que le récepteur détermine sans ambiguïté l’information transmise par l’émetteur. L’entropie, c’est-à-dire l’incertitude concernant le message, diminue quand le récepteur dispose d’un nombre d’informations suffisant. Pour donner un exemple concret, lorsqu’on qu’on compresse un photo aux formats .jpeg ou .png afin d’en diminuer le poids, l’entropie est utilisée afin d’indiquer le nombre minimal de bits nécessaires pour alléger le document sans perte visible d’information: certains détails, non décelables par l’œil sont supprimés par rapport à la photo d’origine. Le fichier obtenu est ainsi bien plus léger et plus rapide à transmettre.
Le centenaire de la naissance de Shannon est célébré par le CNRS dans un formidable document multimédia dont je me suis inspiré pour rédiger les paragraphes ci-dessus. Visitez ce site, vous y retrouverez le schéma qui a inspiré Jakobson. Et découvrirez plein de choses insolites et passionnantes concernant la vie et l’oeuvre de cet inventeur prolifique dont les travaux aujourd’hui encore ont des retombées majeures dans notre quotidien.
Une histoire de la communication et des médias.
Les médias ont envahi notre monde moderne. Il en est de même pour la communication: on échange à tout-va, on collabore en permanence, on partage jusqu’aux informations plus ou moins privées concernant notre vie professionnelle et personnelle. Le tsunami de l’infobésité est permanent et nous submerge. Nos données sont récupérées et stockées (par qui et à quelles fins?) parmi les Big Data. Cette appellation apparue en 1997 a été popularisée en 2012. « Littéralement, ces termes signifient mégadonnées, grosses données ou encore données massives. Ils désignent un ensemble très volumineux de données qu’aucun outil classique de gestion de base de données ou de gestion de l’information ne peut vraiment travailler. En effet, nous procréons environ 2,5 trillions d’octets de données tous les jours. Ce sont les informations provenant de partout : messages que nous nous envoyons, vidéos que nous publions, informations climatiques, signaux GPS, transactions commerciales, etc » (cf. source).
Les chiffres des Big Data dépassent l’entendement. Consultez l’infographie disponible en suivant ce lien.
Dans cette perspective, il est pertinent de s’intéresser de plus près à l’histoire des médias et à la diffusion des informations. Ce afin de dialoguer avec les élèves en leur donnant des repères leur permettant de mieux se situer et s’orienter dans cette déferlante informationnelle. Le problème étant de ne pas être
- submergé et emporté par l’infobésité et de perdre alors tout sens critique et toute faculté d’analyse;
- trop crédule face à la désinformation permanente qui ne cesse d’enfler via les réseaux sociaux et certains sites -malveillants, malhonnêtes, mal informés…-.
Un exemple maintes fois donné: il n’existe qu’une seule vidéo de l’assassinat de Kennedy, il en existe des centaines sur le Word Trade Center. Cette profusion d’éléments factuels n’a pas empêché la propagation de maintes théories du complot. Et il est tellement facile et rapide de truquer une image ou une vidéo aujourd’hui.
Un site extraordinaire qui doit son existence au projet InaGlobal constitue une référence incontournable pour s’initier à l’histoire des médias.
InaGlobal est un site d’une richesse inouïe. Dans le cadre de cet article, deux pages nous intéressent particulièrement.
La première retrace une chronologie des médias sous forme de frises chronologiques interactives très riches en infos diverses sous forme de vidéos et d’articles. Elles retracent les grandes dates de l’histoire des médias en images. 15 sujets sont développés:
- La télévision en France depuis 1853
- la radio en France depuis 1918
- le réseau internet depuis 1957
- les terminaux et les services numériques depuis 1979
- la presse française depuis 1631
- Le cinéma depuis 1890
- l’observation des audiences en France depuis 1945
- l’informatique depuis le VIIe siècle av. J.-C.
- Les satellites et la télévision depuis 1957
- le câble en France depuis 1973
- Les communications électroniques depuis 1834
- Le Minitel, 1978 à 2012
- Le son et la radiodiffusion depuis 1857
- L’image et la télévision depuis 1816
- Les médias imprimés, livres et journaux, depuis 1038
La deuxième page s’intitule Du néolithique au numérique, une histoire de l’information. Comment l’information a-t-elle pris une telle place dans nos sociétés ? Les signes de sa transmission entre humains remontent très loin dans le temps. Du néolithique au web, retour sur des périodes clés de l’histoire de la production et de la circulation de l’information. L’ensemble se présente sous forme de dossier regroupant des articles très bien documentés et agréables à lire. Ils abordent les thèmes suivants:
- Révolution néolithique, révolution de l’information
- Invention de l’écriture, émergence de l’information?
- Antiquité gréco-romaine: le bourdonnement incessant de l’information
- Au Moyen Age aussi, informer c’est gouverner
- Au Moyen Age, information et désinformation sur l’Afrique
- Comment l’Europe de la Renaissance inventa l’actualité
- Au XVIIe siècle, naissance du journalisme politique
- Quand l’info devient instantanée
- Révolution numérique: les journalistes face au nouveau tempo de l’info
- L’information mondialisée n’existe pas!
L’éducation aux médias.
Inscrite dans la loi du 08/07/2013 d’orientation et de programmation, elle constitue un point fort des nouveaux programmes.
Elle est indispensable. Nous sommes tous soumis au torrent continu d’informations et force est de constater que l’ivraie l’emporte de loin sur le bon grain… Les adultes sont en permanence connectés à leur téléphone intelligent, les ados ont leurs propres médias dont la logique échappe parfois aux parents: qui n’a pas été étonné la première fois qu’il a découvert les messages éphémères partagés sur Snapchat?
Des actions concrètes de terrain afin de sensibiliser les ados.
✔︎ Le Centre pour l’éducation aux médias et à l’information -CLEMI- met à disposition des enseignants 24 vidéos pour les aider à illustrer leurs projets pédagogiques médiatiques et à trouver des éléments de réponse à de nombreuses questions souvent posées par les élèves : A quoi sert la caricature ? quelle différence entre info et rumeur ? quels stéréotypes dans les médias? qu’est ce que le pluralisme des médias? … Ces ressources sont courtes, 3 minutes en moyenne, les thèmes sont traités avec humour et permettent aisément d’engager le débat avec les élèves. Le public visé est constitué par les élèves des collèges.
Le CLEMI publie les résultats d’une enquête toute récente. La montée en puissance de nos pratiques numériques a redéfini les contours de la parentalité et bouleversé les dynamiques familiales. Quelle attitude les parents peuvent-ils adopter face à l’infobésité et à la désinformation ? Pendant deux mois (novembre-décembre 2016), le CLEMI a mené une enquête nationale en lien avec le Réseau Canopé pour faire un état des lieux des pratiques, des doutes et des interrogations des parents sur le rapport que leurs enfants entretiennent avec les médias et Internet. Si l’échantillon constitué dans le cadre de cette enquête n’a pas l’ambition d’être représentatif, celle-ci a le mérite d’offrir une vision de terrain sur l’impact des médias et d’Internet dans les vies des familles. Cette enquête montre que les attentes vis-à-vis de l’École, en termes d’accompagnement, sont extrêmement fortes. 78% des parents en effet souhaitent des cours d’Éducation aux Médias et à l’Information en classe pour leurs enfants. 83% d’entre eux attendent de la part des organismes publics une sensibilisation aux dangers d’Internet.
Les premiers résultats de cette enquête sont résumée dans cette infographie.
✔︎Prim à bord, le portail du numérique pour le premier degré, renvoie vers le site canadien HabiloMédias qui consacre plusieurs capsules pédagogiques dédiés à l’éducation aux médias.
Ces supports peuvent servir à présenter les concepts clés aux élèves. Chaque vidéo est accompagnée d’un plan de leçon et d’un résumé des principales idées à retenir.
Six épisodes et thématiques sont actuellement disponibles :
- Minutes Médias Leçon 1 : Les médias, qu’est-ce que c’est ?
- Minutes Médias Leçon 2 : Les médias sont des constructions
- Minutes Médias Leçon 3 : Les médias ont des implications sociales et politiques
- Minutes Médias Leçon 4 : Les médias ont des implications commerciales
- Minutes Médias Leçon 5 : Différentes personnes réagissent différemment à différentes constructions médiatiques
- Minutes Médias Leçon 6 : Chaque média a une forme artistique unique
Il convient aussi de sensibiliser les enseignants.
L’éducation aux médias s’adresse aux élèves mais pas seulement. Elle implique également un changement dans la posture enseignante. Dans cette perspective, le travail sur la réalisation de la matrice EMI (Éducation aux Médias et à l’Information) mérite d’être signalé. D’autant plus qu’il a été réalisé par une équipe de la région toulousaine 🙂 dans le cadre des Travaux Académiques Mutualisés -TraAM-.
Le groupe TraAM toulousain s’est lancé dans la rédaction de la matrice EMI avec trois objectifs identifiés comme facilitateurs :
- uniformiser le vocabulaire utilisé par les enseignants ;
- préciser les compétences essentielles à développer ;
- permettre aux collègues enseignants de structurer des parcours et des progressions en Éducation aux Médias et à l’information sur toute la scolarité obligatoire des élèves : de l’école primaire jusqu’au lycée (6 à 18 ans).
- Loin de proposer une méthodologie informationnelle-type, la matrice EMI amène à considérer l’élève comme évoluant dans un écosystème informationnel déterminé par ses pratiques médiatiques. Il n’existe plus alors de bonnes ou de mauvaises pratiques, mais des écosystèmes plus ou moins ouverts et conscients. Il s’agit donc, par des travaux de recherche et de publication, par la pratique du débat argumenté, par l’approfondissement de notions info-documentaires, de permettre aux élèves de prendre conscience de leurs pratiques informationnelles. Ces pratiques sont déterminantes pour l’accès à l’information qui arrive par le biais de moteurs de recherche, de sites présélectionnés, de recommandations…
- Ce qui implique une nouvelle posture enseignante. L’enseignant met les élèves en situation de recherche et/ou de production d’information pour tenter de déceler un niveau d’acquisition individuel des notions info-documentaires, niveau qu’il cherche à faire évoluer. Il interroge ses élèves, les amène à confronter leurs démarches lors de débats (Faut-il ou non utiliser Wikipedia ? Peut-on se fier aux premiers résultats du moteur de recherche ?) ou de travaux de groupe. Ce type d’interaction élève/enseignant ou élève/élève oblige à l’utilisation d’un vocabulaire précis et adapté. L’objectif est de rompre l’imperméabilité qui peut exister entre des pratiques non formelles, souvent dissimulées, car considérées comme non légitimes, et les pratiques scolaires prescrites.
Je vous renvoie vers un document très riche:
D’autre part, un tout récent Dossier de veille de l’IFÉ aborde le thème de l’EMI en se fondant sur l’étude très documentée et très riche rédigée par Claire Joubère. Vous accédez à ce travail fort instructif en suivant ce lien. L’auteure mentionne d’emblée la définition de l’EMI retenue par l’Unesco:
Il existe des ressources permettant de vérifier les informations sur internet et ainsi d’aider à démêler le vrai du faux. Elles sont dispersées. Certaines sont réunies dans un guide dont vous trouverez la référence en vous rendant sur le blog Outils froids de C. Deschamps, une source à connaître.
Pas de conclusion, pour une fois…
Nous vivons une période transitoire. Nous sommes aspirés par le maelstrom de l’évolution/révolution numérique qui est inexorable et nous entraine à grande vitesse vers de nouvelles contrées encore inexplorées. Y a-t-il seulement un pilote dans l’avion? Ou sommes-nous déjà passés sous la domination des GAFA[litetooltip targetid= »litetooltip_1483981627877″ location= »top » opacity= »1″ backcolor= »#000000″ textcolor= »#ffffff » textalign= »center » margin= »5″ padding= »10″ trigger= »hover »]
Google, Amazon, Facebook, Apple
[/litetooltip] plus puissants que certains gouvernements en termes financiers et d’influence. Et tellement intrusifs dans nos ordinateurs, téléphones et tablettes. ? Mais je m’égare et reviens vers le sujet qui m’intéresse: l’École va devoir innover et s’adapter à une vitesse phénoménale. C’est à la fois passionnant, prodigieusement excitant et passablement inquiétant…
- qui va former les profs
- selon quels critères
- à quelles fins, identifiées ou non
- avec quelles retombées, attendues ou non
- avec quels produits – Apple, Microsoft sont prêts à investir des sommes colossales pour s’emparer du marché de l’Éducation… et imposer leur « philosophie » (?..)
Il y a de quoi avoir le vertige et renforcer sa paranoïa. Big Brother est déjà partout. Et ce n’est qu’un début.
Source image de Big Brother: Pixabay.