Aller au contenu

Le déclin du structuralisme en fle

Cet article se propose de rappeler les raisons du déclin du structuralisme en fle. Quel est le contexte? Les débuts officiels du français langue étrangère coïncident avec la parution en 1960 de Voix et Images de France (VIF), 1ère méthode structuro-globale audio-visuelle -SGAV- élaborée par P. Rivenc et P. Guberina. Une 2ème méthode SGAV paraît en 1972: De Vive Voix (DVV) sous la direction de M.-T. Moget. En 1982, J. Courtillon et S. Raillard publient Archipel qui appartient à la 3ème génération du courant structuro-global. Chacune de ces méthodes marque durablement son époque. Les trois appartiennent au patrimoine du fle. Toutes s’inspirent des principes du structuralisme en linguistique. L’idée de base étant qu’une langue

  • n’est pas une succession de mots régis par des règles morphologiques et syntaxiques telles que décrites par la grammaire traditionnelle avec plus ou moins de précision;
  • est un système complexe et cohérent composé de structures où chaque élément entretient avec les autres des rapports de solidarité, de dépendance et de hiérarchie.

En quelque années, l’influence du structuralisme va diminuant dans le monde du fle. Il occupait une position privilégiée dans les années 60, il subit un certain nombre de critiques dans le courant des années 70 pour se retrouver marginalisé quand les Approches communicatives s’imposent. Ceci se reflète dans les méthodes mentionnées en supra: VIF et DVV préconisent un travail ciblé sur les structures de la langue; Archipel est davantage tourné vers les Actes de parole.

Ce qui précède ne signifie nullement que le structuralisme a disparu du paysage didactique. Simplement, il y est fait beaucoup moins recours que dans la période des années 60-70.. 

J’ai rappelé les principes fondamentaux du structuralisme dans cet article. J’ai également indiqué quelques uns de ses apports à la didactique du fle dans ce billet. Je vais maintenant évoquer les motifs de sa lente perte d’influence dès le début des années 70. On peut invoquer trois causes:

  1. des raisons d’ordre pédagogique;
  2. l’essor de la communication qui devient le mot clé des années 70 et contribue à détrôner le structuralisme;
  3. l’apparition de nouveaux courants en linguistique.

Raisons d’ordre pédagogique.

Une leçon se décompose en plusieurs « moments »: présentation, explication, répétition, exploitation, transposition. Chacune de ces étapes fait l’objet d’analyses détaillées ainsi que de propositions d’utilisation très argumentées. Pendant les années 60, le professeur reçoit d’ailleurs une formation de plusieurs semaines au CREDIF. Il apprend à utiliser la MAV et se familiarise avec les concepts sructuro-globaux qui en sous-tendent l’élaboration et l’exploitation. Une attestation lui est délivrée au terme de son stage. Elle est indispensable pour deux raisons: 1) un professeur non formé court à la catastrophe en utilisant une MAV sans en connaître les principes; 2) ce document est indispensable pour que l’établissement où exerce l’enseignant puisse acquérir la MAV auprès des Éditions Didier. En effet, tant VIF que DVV constituent des ensembles coûteux et lourds: bandes magnétiques des dialogues et des exercices pour le laboratoire de langues, films fixes illustrant les dialogues, livre du maître, livre de l’élève, cahier d’exercices… (1).

 L’effervescence méthodologique caractérise les années 60-70. Les pratiques de classe sont au cœur de la réflexion des pédagogues et didacticiens de cette époque. Avec des propositions très concrètes, testées d’abord sur le terrain avant de faire l’objet d’un article ou d’un livre. Différentes manières d’enseigner le fle sont développées par divers courants. Les propositions du SGAV sont particulièrement élaborées. Des enseignants de langues y adhèrent, d’autres s’en détournent. Aux extrémités de la palette, le SGAV doit compter avec ses zélotes et ses contempteurs.

Un certain nombre de critiques est adressé aux MAV dès la fin des années 60 et s’amplifie au cours de la décennie suivante au fur et à mesure que les différentes chapelles du fle se développent. Les réserves les plus communément exprimées portent sur

  • la lenteur de la progression. Il faut du temps pour que l’élève parvienne à parler relativement librement dans la langue étudiée;
  • les mécanismes de la langue sont dans l’ensemble bien employés par l’élève mais ne sont pas toujours bien fixés;
  • la MAV donne généralement de bons résultats pour des élèves de Niveau 1 (entre 0 et 400h d’apprentissage). Par contre la mise en place d’un Niveau 2 (entre 400h et 800h) reste problématique;
  • La langue des MAV est fondée sur les résultats de l’enquête du Français Fondamental. Pour certains, il s’agit d’une langue aseptisée qu’aucun Français ne parle;
  • Les personnages des MAV sont connotés: bourgeoisie moyenne avec tous les stéréotypes s’y rattachant; absence de diversité (2);
  • les pratiques pédagogiques relèvent de principes behavioristes avec l’installation d’habitudes (ou de réflexes), la répétition étant privilégiée dans certains « moments » d’une leçon: pendant l’exploitation notamment ainsi que lors de l’explication en plus de la phase dite de répétition dévolue principalement à la correction phonétique;
  • la méthode inductive est systématiquement employée pour travailler sur les structures à acquérir. Elle peut conduire à l’incompréhension répétée, au blocage, elle ne convient pas à tous les élèves;
  • de même, le refus de toute traduction en langue maternelle est exagéré. Certains élèves traduisent de toute façon, que ce soit verbalement ou mentalement;
  • les exercices structuraux sont dénoncés: ils sont contraignants, artificiels et fonctionnent « à vide », hors contexte, en dehors de toute situation de communication.

Est-à dire que les méthodes audio-visuelles ne font aucun cas de la communication? Certainement pas. J’en veux pour preuve un extrait de la  préface de VIF (1960):

« … nous avons cherché à enseigner, dès le début, la langue comme un moyen d’expression et de communication faisant appel à toutes les ressources de notre être : attitudes, gestes, mimiques, intonations et rythmes du dialogue parlé. Nous voulons que l’élève change, en partie, de personnage : qu’il oublie, en partie, le rôle qu’il joue, depuis son enfance, avec des partenaires de sa propre nationalité et de sa propre langue, pour entrer un peu dans la manière d’être et de parler des Français ».

Propos qui, s’ils n’étaient pas datés, pourraient figurer dans une publication de 2014.

Une autre critique des adversaires du SGAV a trait à sa méthodologie qui est considérée comme rigide voire dogmatique. Au fond, tout est fonction de la façon dont le professeur utilise la MAV dont le « mode d’emploi » est précisément décrit et argumenté.  Un enseignant pratiquant l’humour, avec une certaine ouverture d’esprit, capable par moments de se détacher de la méthode, n’a pas de peine à rendre le cours attrayant. Entre les mains d’un enseignant psycho-rigide appliquant à la lettre le déroulé de la leçon telle que décrite dans le livre du maître (3) et s’acharnant sur chaque élève jusqu’à obtenir la bonne réponse, ce genre de méthode peut devenir un instrument de torture.

Quoi qu’il en soit, les charges contre les MAV font émerger un amalgame entre structuralisme et béhaviorisme, connotés de plus en plus négativement. A partir des Approches communicatives, ces termes sonneront comme des gros mots; ils marqueront une ringardise didactique aux yeux de certains.

L’essor de la communication.

Le concept de communication s’impose en sciences humaines dès le début des années 70. Cette décennie est marquée dans le domaine du fle par un ensemble de propositions didactiques entrainant une diversification des activités de classe. Les sources d’inspiration sont variées:

  • le célèbre schéma de Jakobson ouvre de nouvelles perspectives;
  • certains courants sociolinguistiques sont mis à contribution, dont la microsociologie de Goffman, la sociolinguistique interprétative de Gumperz, puis l’École de Palo Alto et, bien entendu, l’ethnographie de la communication de Hymes (le père de la compétence de communication).

Cette période voit des études et des activités de classe orientées vers la prise en compte

  • du statut psychologique des acteurs de la communication ou, pour reprendre la terminologie de l’époque, de l’émetteur et du récepteur. Leur rôle et leur statut dans la situation de communication sont considérés;
  • des contraintes spatio-temporelles de la communication;
  • de l’étude de certains genres formels: l’entretien, la conférence, le débat.

La typologie des messages oraux élaborée par J. Peytard présente une synthèse des pistes frayées au début des années 70.

Un pas décisif est franchi en 1976 avec la publication de Un Niveau Seuil. Ce répertoire d’Actes de langage

  •  consacre l’avènement de la communication en fle;
  • fait apparaître l’importance qu’il convient d’accorder à la culture en plus de l’enseignement de la langue proprement dite;
  • illustre l’influence de nouveaux courants linguistiques apparus au cours de la décennie précédente et remettant en cause l’hégémonisme du structuralisme.

L’apparition de nouveaux courants en linguistique.

J’ai déjà mentionné plus haut l’influence de certains courants sociolinguistiques qui rencontrent une audience certaine en France dans les années 60. A cela il convient d’ajouter les recherches de Jakobson et de Benveniste qui s’orientent vers l’étude de productions linguistiques produites dans des situations de communication authentique par des individus de chair et de sang. Ces deux grands linguistes sont à l’origine de la linguistique de l’énonciation qui va rapidement développer des recherches sur

  • les marques ou traces énonciatives;
  • les rapports entre sens et signification;
  • l’action exercée sur le partenaire de l’échange.

Dans le même temps, Searle et Austin jettent les fondements de la Pragmatique. C’est l’élaboration de la théorie des Actes de langage qui va fonder de grands espoirs chez de nombreux didacticiens. A tel point que les Actes de langage, inventoriés dans 1Niveau Seuil vont devenir devenir l’unité d’enseignement et remplacer la structure avec l’évènement des Approches communicatives.

Un changement de paradigme s’opère progressivement durant les années 70. Une idée force s’impose: L’emploi de la langue est plus important que sa structure ; le sens d’un message dépend toujours du contexte concret dans lequel il est produit.

D’où la distinction opérée entre règle d’emploi et règle d’usage.

✔︎ Les règles d’emploi de la langue s’observent dans les échanges communicatifs ayant cours dans la vie réelle. Les individus adoptent certains comportements langagiers en fonction de normes culturelles et sociales partagées (en situation endolingue, en principe). Ils ont des intentionnalités envers l’interlocuteur. A l’oral notamment, il est très fréquent qu’ils produisent des énoncés « grammaticalement incorrects », qu’ils n’achèvent pas leur pensée, qu’ils passent du coq à l’âne, etc. Mais ceci n’entrave pas la communication ni n’affecte l’intercompréhension. Parce que ces énoncés sont pertinents et adaptés au contexte. D’où l’idée qu’un énoncé agrammatical mais compréhensible est préférable à un énoncé très bien formulé mais inapproprié.

L’attention portée à la règle d’emploi souligne l’importance de la culture et relativise celle de la grammaire.

✔︎ Les règles d’usage s’appuient sur le fonctionnement interne de la langue. Ce sont elles qui permettent de produire des énoncés bien formés. Elles sont mises en évidence par les linguistes qui en dégagent, inventorient, décrivent les structures, en expliquent le fonctionnement et les rapports internes. Contrairement au grammairien qui décrit la langue dans son « bon » usage, le structuraliste s’intéresse à tous les faits linguistiques qu’ils soient grammaticaux ou non.

 En guise de non conclusion…

De nombreuses disciplines s’engouffrent dans le monde du fle pendant les années 70, provoquant de profondes mutations. Je revoie à deux schémas se trouvant dans les deux pages du menu « Didactique » du blog.  Celui-ci et celui-là. Ils illustrent l’ouverture du fle vers d’autres horizons… pas forcément toujours sereins.

Remarque: Ce n’est pas parce qu’il est passé de mode en didactique du fle que le structuralisme est mort et enterré. Il est toujours bien vivant. Certains de ses excès ont été dénoncés à juste titre, tant en linguistique qu’en didactique des langues. N’oublions pas tout de même que certaines de ses méthodes d’analyse offrent un cadre très sûr pour expliquer et travailler certains phénomènes de langue…

Je reviendrai plus précisément sur l’influence de ces linguistiques de la communication en fle.

rouages2source image: Pixabay

(1) Le SGAV se positionne dans le domaine de la Pédagogie puis de la Didactique des Langues en produisant des méthodes dans dix autres langues et en animant de nombreux stages de formation d’enseignants.

(2) La méthode audio-visuelle C’est le Printemps (1976) rompt avec l’univers convenu des MAV de type SGAV en mettant en scène des personnages issus de divers milieux socio-culturels et en proposant des dialogues où sont introduits mots et expressions appartenant au registre familier.

(3) le livre du maître de VIF et de DVV est un imposant ouvrage de plusieurs centaines de pages où chaque leçon est décrite précisément, image par image, réplique par réplique, avec une proposition d’animation tout au long de la progression.

3 commentaires sur “Le déclin du structuralisme en fle”

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.

Abonnez-vous à l'infolettre

afin de recevoir les nouveaux articles du blog

Bienvenue!

Pin It on Pinterest

Share This