Cet article se propose de revenir sur les notions de dialogue et de conversation qui irriguent la didactique du fle à l’oral et ont connu des fortunes diverses au cours de l’évolution la discipline depuis les débuts du fle.
Dans cette première partie, nous allons évoquer le sort de ces deux notions depuis les débuts du fle jusqu’aux années 80.
Un deuxième article s’attachera à examiner le statut de la conversation dans le didactique du fle avec l »avènement de l'(Approche actionnelle au début du XXIe
La dimension diachronique de ce billet impose de rappeler que les concepteurs de méthodes et de manuels ont eu à disposition des matériaux sur lesquels ils se sont appuyés pour le contenu linguistique de leurs ouvrages:
– le Français Fondamental paru en 1955 a influencé les didacticiens jusqu’au début des années 80;
– 1Niveau Seuil publié en 1974 a été utilisé jusqu’à la fin des années 90;
– le CECR édité 2001 constitue l’actuel ouvrage de référence.
Et le dialogue fut
Les méthodes produites par le courant SGAV furent les premières à utiliser les dialogues comme éléments de référence pour l’enseignement / l’apprentissage du fle. J’ai rappelé dans un récent article les avantages du dialogue tels qu’ils étaient soulignés à l’époque, j’en ai également souligné les limites. Juste pour mention, voici les avantages reconnus à ces objets pédagogiques construits initialement pour faire découvrir et manipuler des structures linguistiques.
chaque dialogue est construit
● autour d’une vingtaine de répliques enregistrées, chacune étant associée à une image particulière;
● en s’appuyant sur les listes de vocabulaire du français fondamental;
● donnant la possibilité de manipuler des structures linguistiques;
● se rapportant à un échange à voix haute entre deux personnes sur un sujet de la vie quotidienne;
● utilisant un niveau de langue « standard », ni trop relâché, ni trop affecté;
● privilégiant la fonction de communication du langage;
● offrant un modèle de langue orale à écouter et imiter.
et la conversation pointait déjà le bout de son nez
Les méthodes SGAV fonctionnent bien pour ce qu’à l’époque on appelait le niveau 1, soit l’équivalent de 200h à 400h d’apprentissage. Elles peinent à proposer des méthodes aussi efficientes pour le niveau 2 estimé entre 400 et 800h d’études environ. Au niveau 1, les « moments » de l’explication et surtout de la transposition doivent à terme permettre de tenir des conversations car les étudiants sont censés utiliser l’ensemble de leurs connaissances linguistiques. Et à partir d’une certaine maîtrise de la langue, ils peuvent produire d’une manière plus fluide et ne plus craindre d’improviser.
Mais la conversation entraine beaucoup de résistances à l’époque. Elle est absente des programmes officiels. Nombreux sont les professeurs qui considèrent qu’aborder des sujets comme que le film vu la veille à la TV, le roman à la mode ou telle recette de cuisine revient à traiter de futilités en salle de classe ou s’apparente à un bavardage mondain. Les élèves peuvent aussi être dérangés par une activité qui déroge trop à leurs habitudes ou les sollicite trop frontalement.
Et puis, comment définir la conversation? Cet ouvrage de 1969 aborde la question p. 10:
Niveau le plus élémentaire: une sorte de pré-conversation. Il s’agit de dialogues encore rudimentaires visant au réemploi et à l’appropriation du matériel linguistique qu’on vient de proposer aux élèves. Ce sont là les germes des conversations futures.
Niveau moyen: apparition de tout un ensemble de techniques, jeux de langage le plus souvent, destinées à faire parler les élèves avec une spontanéité dirigée, selon le niveau de leurs connaissances et comme moyen d’améliorer ce niveau.
Niveau supérieur: épanouissement des conversations véritables qui supposent l’autonomie, la liberté d’expression et l’initiative. La conversation est alors un entretien familier qui démarre sur un thème, ou sur plusieurs thèmes voisins et bien définis.
Dès la fin des années 60 plusieurs phénomènes se manifestent concomitamment. Leur apparition bouleverse le paysage du fle et rebat complètement les cartes:
- plusieurs courants sociolinguistiques déferlent dans le monde de la linguistique;
- la communication devient le maître-mot de la décennie qui s’ouvre;
- le courant pragmatico-énonciatif évince peu à peu le structuralisme et nombreux sont les spécialistes de fle qui ne jurent plus que par les nouvelles avancées qu’il augure.
J’essaie de résumer les innovations que cette décennie engendre au moyen des trois documents ci-dessous:
Sur cette carte heuristique dominée par les deux mots clé de cet article, j’ai repris les thèmes dominants des années 60 tournant autour du structuralisme, puis, dès le début des années 70, le nouveau mot phare communication s’impose, accompagné de la déferlante du courant pragmatico-énonciatif.
Il n’y a aucun classement dans le rangement de ces mots vedette tant les concepts et les thèmes s’enchevêtrent. De même, je ne prétends pas les avoir tous relevés (j’aurais pu ajouter niveau de langue, par exemple). L’époque est bouillonnante et didacticiens comme méthodologies font feu de tout bois. Les deux documents ci-dessous prétendent mettre un peu d’ordre dans ce pêle-mêle.
De l'énonciation aux Actes de parole
A partir des années 70, La didactique du fle oscille dans un mouvement de balancier entre des linguistiques de type formel axées sur l’étude de la langue en tant que système et des linguistiques de type anthropologique étudiant les multiples emplois qu’en font les usagers dans la vie quotidienne.
Phrase et énoncé
Une phrase est une unité ordonnée et cohérente de mots soumise à des règles spécifiques de construction propres à une langue donnée. Elle a un sens stable, grammatical ou encore littéral. Ce sens est prévisible en langue. C’est ce qui permet de la traduire dans une autre langue. Pensez aux exercices de thème du lycée ou en fac.
Mais la phrase ne correspond à aucune réalité, son sens est indépendant d’une quelconque situation. C’est une simple construction linguistique qui peut se répéter à l’infini.
Dans la vraie vie, les gens échangent non pas des phrases mais des énoncés. Ils manifestent en cela leur compétence linguistique et communicative. Les énoncés sont des phrases en situation c’est-à-dire produites à chaque fois dans des circonstances et un contexte particuliers. C’est cela qui caractérise l’énonciation en tant que processus unique, qui ne peut être reproduit.
L’énonciation et la pragmatique, dont certains thèmes de recherches s’entrecroisent, suscitent l’effervescence dans l’univers du fle. Surtout quand on croise leurs apports avec les données de certains courants sociolinguistiques dont l’ethnographie de la communication de Hymes et son célèbre modèle SPEAKING repris à l’envi dans les publications de l’époque. Et qui apporte quelque chose de tangible pour travailler sur la communication orale en langue étrangère.
Énormément d’ouvrages paraissent au cours des années 70 et 80, proposant des myriades d’activités autour de la communication orale. On y retrouve les notions nouvelles introduites par les nouveaux courants linguistiques. C’est ainsi qu’en 4ème de couverture du livre indiqué ci-dessous et publié, en 1975, il est précisé d’emblée
[..] les activités pédagogiques décrites dans cet ouvrage cherchent avant tout à faire prendre conscience à ceux qui apprennent une langue étrangère (et à ceux qui l'enseignent) que les sons, les mots, les phrases qu'ils sont en train d'écouter, de répéter, d'imiter peuvent aussi servir à communiquer, c'est-à-dire à agir verbalement, soit, par exemple, pour obtenir quelque chose, soit pour affirmer vis-à-vis d'autrui, soit, encore, simplement pour établir un contact avec quelqu'un. Elles ne visent donc pas seulement à faire parler les apprenants mais aussi à leur montrer que, dans une situation de communication donnée, rien n'est jamais pareil après qu'on a parlé.
les activités ne se réfèrent à aucun contenu linguistique particulier. Toutes sont présentées selon un schéma unique où se reflètent les influences des diverses tendances à la mode:
- fonction
- intention pédagogique
- objectif global d’apprentissage
- contenu
- participants
- lieu/Moment
- canal
- registre
le triomphe des Actes de langage en didactique du fle
Je n’opérerai pas ici le distinguo terminologique entre acte de langage renvoyant aux potentialités logico-sémantiques de la langue et acte de parole référant à des facteurs extra-linguistiques inhérents à une situation de communication donnée: contexte, implicites, stratégies discursives employées, etc. Et la traduction du terme anglais Speech Act peut également constituer une ambiguïté parfois.
Le principe de base de la théorie des AL est fondé sur la conviction suivante : « l’unité minimale de la communication humaine n’est ni la phrase ni une autre expression. C’est l’accomplissement (performance) de certains types d’actes » (Armengaud, F. La Pragmatique Paris, PUF, 1990 (coll. Que sais-je? n°2230, p. 77). Le locuteur pose une question, donne un ordre, affirme, conseille, critique, accuse, félicite, menace,, supplie, défie, etc.
L’acte ne doit pas être confondu avec la phrase ou avec n’importe quelle expression linguistique utilisée pour son accomplissement. En réalisant un acte, ou plusieurs, le locuteur agit sur la réalité et sur l’interlocuteur. Le postulat des AL est dire, c’est faire. Le sujet est personnellement impliqué, comme locuteur ou comme auditeur, dans une situation d’énonciation.
Les Actes de langage sont mis à l’honneur avec la publication de 1Niveau Seuil. Ils deviennent la référence comme unité minimale d’enseignement.
En 20 ans, le paysage du fle change du tout au tout
Dans le courant des années 70, la didactique du fle s’était résolument orientée vers un enseignement fonctionnel. Fonctionnel devant être compris comme un enseignement ayant des objectifs langagiers précis et se donnant les moyens de les atteindre.
Les Approches communicatives des années 80 sont entièrement tournées vers la compétence de communication. Elles rejettent l’approche structuraliste fondée sur
- des dialogues dont les énoncés constituent plutôt des sortes de phrases passe-partout ne possédant aucune dynamique pragmatique;
- une connaissance des structures et du code. En fait, ces règles n’ont que peu à voir avec les processus inférentiels intervenant dans l’interaction. Et puis, il s’avère la règle d’usage -le fait de produire un énoncé grammaticalement correct- est moins importante que la règle d’emploi -le fait de produire et de comprendre des énoncés appropriés aux circonstances de l’échange-.
Les Approches communicatives ont pour objectif de permettre aux apprenants non plus de forger des phrases mais de comprendre et de produire des discours. D’où l’apparition d’un paysage du fle qui est toujours le même aujourd’hui, à quelques nuances près:
- un élargissement considérable de son périmètre didactique qui inclut désormais des apports de la psychologie, de la sociologie, de l’anthropologie, en gros de la plupart des sciences humaines (quels modèles, courants, tendances, ceci est une autre question…);
- une sur (?) valorisation de la culture;
- une relativisation de la linguistique et de la grammaire (laquelle doit aussi être communicative, mais ça aussi c’est une autre question).
Les méthodes de fle des années 80-90 structurent désormais leur progression en envisageant à l’intérieur de chaque unité l’enseignement des objectifs linguistiques (grammaticaux) et fonctionnels (communicatifs).
Qu’en est-il du dialogue et de la conversation dans cette tourmente didactique? Le prochain article tentera de faire le point là dessus.