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Encourager les apprenants à s’investir en correction phonétique

Travailler la prononciation en langue étrangère et s’efforcer d’améliorer  les productions phonétiques des apprenants paraît aller de soi. En théorie. Il existe d’ailleurs de bonnes raisons pour ce faire. Nous les rappellerons brièvement. Il y a également d’autres arguments davantage essentiels dans le processus d’enseignement/apprentissage de la langue que beaucoup d’enseignants ont tendance à méconnaître. Nous nous y attarderons plus longuement. Préalablement, il nous paraît opportun de poser quelques limites à notre propos. La correction phonétique ne saurait s’imposer à tous les professeurs de langue pas plus qu’elle ne concernerait tous les élèves.

les limites de l'intervention phonétique en langue étrangère

quels profs pour intervenir efficacement?

Tout enseignant de  langue vivante n’est pas apte à intervenir dans ce domaine si particulier qu’est l’enseignement de la prononciation. Ceci ne s’improvise pas et ne se fait pas « à l’instinct » comme le prétendent certains. Le professeur doit avoir reçu une formation lui assurant

  • de connaître les multiples raisons d’une prononciation défectueuse en L2;
  • d’avoir une connaissance raisonnée des diverses méthodes d’amélioration de la prononciation, avec leurs atouts et leurs lacunes – et d’être capable de retirer le meilleur de chacune;
  • d’établir le diagnostic en temps réel des productions incorrectes de l’apprenant;  et de savoir les hiérarchiser afin d’intervenir efficacement;
  • de recourir à de multiples techniques remédiatrices ;
  • de savoir créer de multiples activités en fonction des besoins réels de l’élève sans nécessairement avoir à recourir à des exercices décontextualisés tirés de manuels.

Le problème étant qu’en France la phonétique est réduite à la portion congrue dans de nombreuses formations fle – quand elle figure au programme. Et qu’elle est très majoritairement enseignée par des enseignants n’ayant aucune pratique concrète des interventions en classe. 

 

pour quels publics

Tout le monde a-t’il besoin d’avoir des cours de prononciation? C’est souhaitable pour certaines catégories de gens: profs, étudiants de L2, interprètes, personnes étrangères en insertion professionnelle, expatriés, autres… Mais et-ce utile de gaspiller du temps et de l’énergie pour certains publics « captifs » comme des adolescents obligés de choisir une L2 ou une L3 dans le cadre de leur cursus dans l’enseignement secondaire et qui n’auront plus le moindre contact avec elles plus tard? Ou encore des personnes choisissant d’étudier une L2 à raison de deux ou trois heures par semaine en guise de passe-temps ou pour « découvrir une autre culture »? Le débat est ouvert…

Dans le même ordre d’idée, il serait formidablement judicieux d’investir massivement dans l’enseignement pré-secondaire des langues en augmentant les heures d’exposition aux idiomes étrangers de façon substantielle et en formant des professeurs spécialisés auprès des jeunes enfants pour lesquels la perception auditive à des sons non familiers  est encore maximale avant l’inévitable surdité phonologique survenant au moment de la puberté.

enseigner une norme?

Attention, danger! Nous nous aventurons là en terrain miné. La norme est une question qui obsède et inquiète beaucoup d’enseignants et d’apprenants. Un article du blog est consacré à l’évolution de la norme phonétique du français au cours du XXème ainsi qu’a la description du modèle actuel dit français de référence. Je vous y renvoie pour avoir une vision précise de ce phénomène dynamique. Je vous invite également à prendre connaissance de cette autre publication qui traite du même sujet dans une perspective diachronique plus large incluant également des considérations d’ordre sociolinguistique.

C’est là que le bât blesse. Car une norme réfère à un accent. Et tout le monde a un accent. Et l’accent constitue souvent une source d’angoisse. Ceci est bien décrit. dans les analyses relevant du concept d’insécurité linguistique, terme forgé par Labov dans les années 60.

L’insécurité linguistique se traduit par un sentiment d’anxiété, de gêne, de manque de confiance éprouvé par l’usager d’une langue, maternelle ou étrangère. La personne qui y est confrontée se heurte à une norme dominante qu’elle ne maîtrise pas, d’où parfois un sentiment d’illégitimité ou encore un complexe d’infériorité. Surtout si elle se trouve dans une situation formelle: songez à un journaliste commentant l’actualité avec un accent du sud marqué (seul J.-M. Apathie a réussi à tirer son épingle du jeu); ou bien à un candidat à un concours de recrutement de professeur de français langue maternelle s’exprimant avec un accent marseillais à couper au couteau.

Vous trouverez plein d’articles et de témoignages sur ce thème sur le net. Je vous propose cette source qui illustre bien la complexité du problème et vous renvoie également aux travaux de la linguiste acadienne Annette Boudreau sur le sentiment de honte des Canadiens francophones dû notamment au déclin et donc à la perte d’influence du français au Québec ici et  .

 Qui plus est, nous vivons dans un monde gangréné par le wokisme. De nos jours, dès qu’on évoque l’accent, deux termes surgissent:

  • la glottophobie, vocable proposé par le sociolinguiste P. Blanchet, désignant une attitude ou un comportement discriminatoires à l’encontre d’une personne s’exprimant en langue maternelle ou étrangère « avec un accent » faisant l’objet de moqueries, de dénigrement, d’humiliations, voire de haine ou d’exclusion sociale. Un livre de cet auteur publié en 2016 a popularisé cette notion. Qui a été développée à l’envi dans moult articles de presse et émissions de radio entre autres. Encore aujourd’hui dans le cadre de ma veille sur internet je suis tombé sur ce titre tout récent rappelant que « les accents du sud de Marseille, Toulouse et du Pays Basque sont les accents préférés des Français […] et concluant son introduction par cette phrase assez hallucinante: ces accents ont-ils pour autant leur place dans la société ? « 
  • l’accentisme, proposé en 2016 par l’Office québécois de la langue française à partir de l’anglais accentism, est défini par le Grand Dictionnaire Terminologique comme l’attitude ou le comportement discriminatoire qui se fondent sur l’accent avec lequel une personne s’exprime  dans sa langue maternelle ou une langue seconde, et qui lui portent préjudice. 

Avec la notion d’accentisme on passe à un niveau supérieur. Les personnes émettant un jugement négatif sur tel ou tel accent sont des racistes, des fachos, des salopards, des crapules, des gauchos, des abbépierristes, des pourris, des enfoirés, des exploiteurs, des xénophobes, des islamo-gauchistes, des trumpistes, des connards, des macronistes, des sudistes, des nordistes, des ébénistes, des naturistes, etc. 

 

 

Juste pour le fun, je vous renvoie à un article du blog interpelant J.-L. Mélenchon, le Grand Vitupérateur, qui avait osé se moquer de l’accent toulousain d’une journaliste. Exemple parfait de glottophobie.

Alors, faut-il se référer à une norme et s’efforcer de l’enseigner aux élèves? C’est le débat même du type le serpent qui se mord la queue. Il y a encore quelques décennies, le seul accent de référence était naturellement la variété de français hexagonal faisant office de modèle. Mais les temps ont changé. De nos jours, nul ne songerait à nier qu’il existe une variété d’accents de référence dans la francophonie. C’est ainsi que l’on peut dénombrer les accents québécois, suisse, belge, antillais, africain. Sans compter les différents accents régionaux en France, Suisse et Belgique… Nous n’avons que l’embarras du choix. Aussi me semble-t’il, autant faire preuve de réalisme. et de bon sens. Pour des allophones habitant dans un territoire donné de l’espace francophone, le mieux est de les accoutumer graduellement aux particularités linguistiques du lieu de résidence. Cependant, il peut être judicieux. de leur  faire entendre d’autres accents régionaux. Je pense à des personnes vivant dans le sud de la France que l’enseignant expose à des accents du nord. Un moyen pour leur faire prendre conscience de la diversité linguistique comme d’ouvrir et d’enrichir leur. crible phonologique.

Et se pose la question de l’accent de l’enseignant… Que faire s’il est éloigné de la norme? Ne la maitrise pas?  Ne la connaît pas? N’en a rien à faire? Si on commence à ergoter, on n’en sort pas.

 

de bonnes raisons pour améliorer la prononciation des élèves

Elles sont connues.  Et font l’objet d’un large consensus. Certaines renvoient à. une sorte d’état terminal fantasmé faisant  fi du. nécessaire processus d’apprentissage plus ou moins long et plus ou moins mené à bien selon les apprenants. 

atténuation du sentiment d'insécurité linguistique

En phonétique du fle, ce terme renvoie au Moi linguistique (Boogarts) ou encore à l’ego phonétique (Briet). Il affecte de nombreux élèves y compris dans l’enseignement secondaire qui restent muets en classe de L2. Ils n’osent ouvrir la bouche par timidité mais également par gêne. Ils peuvent se sentir dévalorisés car ne supportant pas les moqueries et autres commentaires négatifs de la part de leurs condisciples, voire même des profs. Le fait de leur proposer d’intervenir sur leur « accent » et d’apporter quelques améliorations ne peut qu’être bénéfique. Et peut être également de nature à débloquer un frein dans le processus d’apprentissage de la langue. 

développement de compétences sociales

Ce sont des arguments classiques souvent avancés pour justifier un travail de correction phonétique:

une personne ayant un bon accent en L2 interagit plus efficacement avec des natifs, la communication est naturellement plus aisée. Sans compter qu’elle s’expose moins à de réactions de glottophobie;

un étranger s’exprimant sans (trop d’) accent est également mieux accepté par les natifs. L’accent est présenté par E. Charmeux comme « une écoute anti-Autre », ce qui malheureusement de nos jours se vérifie trop souvent à la rubrique des faits-divers;

un bon accent garantit également davantage de chances pour décrocher un emploi dans des secteurs où il faut être en contact avec le public; comme pour valider un examen en  L2;

à terme, la maîtrise de l’accent en L2 permet de mieux saisir certaines nuance véhiculées par la prosodie qui seraient passées inaperçues avec une oreille moins entrainée. Penser à une phrase interrogative telle que tu as déjà fini d’étudier ta leçon? avec une nuance de surprise, d’étonnement, de doute, de dépit, d’incrédulité, d’ironie, etc.

 

l'amélioration des capacités linguistiques est facilitée quand l'élève s'investit dans l'apprentissage de la prononciation

C’est hautement souhaitable et hautement probable pour une majorité d’élèves. Encore faut-il sérier les problèmes. Et accorder la priorité à l’apprentissage de la prosodie et prioritairement du rythme. En donnant toute son importance à la syllabe, unité fondamentale de perception en français.

En début d’apprentissage, il est nécessaire de proposer des énoncés sur la base de mots phonétiques groupes de sens minimaux en français, composés d’un nombre réduit de syllabes et gérables par la mémoire de travail.

Cet entrainement sur la base de mots phonétiques favorise le processus de segmentation en unités de sens en permettant d’identifier les syllabes les plus saillantes, celles qui émergent du flux verbal et sont en position accentuable. Ce sont elles qui, en français, constituent des points d’ancrage et assurent l’accès aux processus de décodage. Il est de ce fait primordial d’entrainer les apprenants étrangers à y prêter attention.

Toutes les syllabes n’ont pas la même importance comme indiqué dans la figure suivante.. Sont prioritaires celles qui sont en position forte. Elles doivent être systématiquement travaillées. Il en va de même pour celles situées en position intermédiaire; elles constituent des proéminences rythmiques supplémentaires pouvant aider les élèves. Il est également utile de s’appuyer sur les syllabes dites « en position faible ». Tous ces reliefs accentuels  interviennent dans la perception des différentes figures rythmiques du français. 

Quant aux syllabes en position non accentuable, on peut éviter de martyriser les élèves avec elles au début, elles sont moins « percevables » que les autres. 

les divers degrés d'accentuation d'

En parallèle avec cet entrainement portant sur le rythme et l’intonation, l’enseignant intervient également sur les erreurs phonémiques. En ayant en tête que c‘est le rythme qui, constitue l’interface entre les accentuations et l’intonation.

D’où la priorité accordée à la prosodie en toute circonstance. Cela peut être une source de difficultés pour certains élèves mais les résultats sont toujours payants.

Cette pratique raisonnée de la phonétique en L2 a  certainement une action positive sur la conscience phonologique de l’apprenant en lui facilitant la tache essentielle d’opérer la segmentation du français parlé en unités de différentes tailles: mots phonétiques et groupes rythmiques, mots lexicaux, syllabes, segments vocaliques et consonantiques. et par conséquent de contribuer à l’établissement d’une conscience phonémique en français. Cette dernière permet d’identifier les unités sonores minimales dans la chaine parlée. et assure la reconnaissance entre unités de l’oral et unités de l’écrit, ce qui passe obligatoirement par un apprentissage explicite. Un élève dont la mémoire sonore de la langue est stimulée arrivera à entrer avec davantage de facilité dans les mondes de la lecture et de l’écriture en français.

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