Je me fais un devoir et un plaisir de relayer l’annonce du colloque L’avoir, le garder, le perdre, le prendre Accent : perspectives sociolinguistiques (APS22) organisé à l’Université Grenoble Alpes par LIDILEM les 17-19 mai 2022.
L’argumentaire et l’appel à communications que je reproduis ci-dessous ont de quoi mettre l’eau à la bouche!
Argumentaire
Accent, notion introuvable?
L’accent constitue une catégorie de perception qui parle à tout le monde mais qui reste très difficile à définir de façon univoque. Ainsi, pour R. Lippi-Green (2019 [2012] « [l]es linguistes ont peiné à trouver une définition exacte du mot accent, et pour la plupart y ont mal travaillé ».
Si l’accent a longtemps été considéré comme une notion de sens commun et dès lors dépourvue de pertinence en linguistique et même en dialectologie, il en va autrement depuis le début du siècle, où une partie des professionnels de la réflexion en sciences humaines (sociologues, anthropologues, (socio)linguistes…) n’essaie plus de marquer à tout prix la différence entre leur savoir savant et le sens commun, mais font entendre leur voix de spécialistes à côté de celles des usagers et des médias. En témoigne, par exemple, l’importance prise ces deux dernières décennies par les études de linguistique folk, les études critiques et les réflexions méthodologiques sur la perception, les représentations, en lien avec les questions d’apprentissage, de sécurité/insécurité linguistique. En attestent aussi les approches de l’accent comme résultat d’une discrimination de traits phoniques (« [d]e manière générale, l’accent ne peut être compris et défini que s’il y a quelque chose auquel il peut être comparé » (Lippi-Green, 2019 [2012]), ou comme une source de discrimination, sociale, ethnique, professionnelle (Entre autres : Gasquet-Cyrus, 2012 ; Prikhodkine, 2019).
Accent: un objet partagé
La question des accents, appréhendée en relation avec des processus sociaux tels que la distinction, le conformisme, l’innovation, l’imitation, la stylisation, la loyauté, l’authenticité ou la discrimination, etc. en fait un objet d’étude pluridisciplinaire pour les sciences du langage, et notamment pour une sociolinguistique qui cherche à articuler les formes langagières avec ces différents processus sociaux, en s’intéressant à la fois aux pratiques, à leurs perceptions et aux représentations ou aux idéologies langagières. Mais c’est aussi un objet d’intérêt général comme le montrent plusieurs documentaires consacrés à l’accent (entres autres Drôles d’accent de Marc Khanne, Avec ou sans accent de Vincent Desombre, L’accent, c’est tendaaaaaance, du magazine de la TSR Mise au point) ou des initiatives comme la proposition de loi du député Euzet visant à « promouvoir la France des accents », acceptée par l’Assemblée nationale le 26 novembre 2020).
Accent et intelligibilité
Une dimension fondamentale de la notion concerne bien sûr la prononciation et ses liens avec l’intercompréhension au sein d’une langue donnée, dans son hétérogénéité. C’est pour cette raison qu’une partie du colloque APS22 sera commune avec la 7ème édition du colloque EPIP – English Pronunciation: Issues & Practices, organisé par des collègues anglicistes du LIDILEM, qui se préoccupent, dans une perspective didactique, de l’enseignement de l’anglais L2 en visant notamment à déconstruire le modèle du « locuteur natif », et à interroger les rapports entre accent « étranger », intelligibilité et intercompréhension. L’idée est ainsi d’organiser un évènement scientifique international qui rapproche deux communautés travaillant sur des objets connexes, avec des approches et des préoccupations en partie communes, mais dialoguant assez peu. Les deux colloques seront mutuellement accessibles aux participant·es qui le souhaitent, et partageront une demi-journée au cours de laquelle auront lieu une conférence plénière et une table ronde communes.
Appel à communications
Le colloque cherchera à susciter des travaux et engager la discussion sur un certain nombre de questions ou d’aspects, présentés ci-dessous de façon non exhaustive :
1. L’accent est-il en train de devenir aussi une catégorie juridique, voire pénale, entrant dans la liste légale des caractéristiques susceptibles d’entrainer des poursuites pour pratiques discriminatoires (comme le genre, la couleur de la peau, la religion ou l’âge…), et peut-il entrer à ce titre dans l’article 225 du code pénal prohibant et sanctionnant les discriminations ? Comment imaginer que les discours (stigmatisation explicite ou implicite, imitations, moqueries), et les pratiques (dans divers milieux professionnels notamment) discriminant les accents (sociaux, étrangers, régionaux) soient policés par la crainte de sanction pénale et/ou sociale
2. Quelles sont les conditions socio-historiques qui permettent aujourd’hui de « faire science » avec la question des accents ? Quelles avancées les technologies et/ou méthodologies (instrumentation, grands corpus oraux, folk linguistics) de recherche contemporaines ont-elles permis dans la connaissance des formes constitutives des accents et de leur perception/catégorisation/évaluation ?
3. Comment articuler les conceptions « techniques » de l’accent (analyses acoustiques et instrumentales, « mesures » du degré de perception de traits) et les multiples dimensions que revêt son sens commun (l’accent, c’est à la fois un rythme, une prononciation, mais aussi un lexique, des constructions syntaxiques, voire une gestuelle) ?
4. Les accents régionaux, à l’instar des langues régionales, sont-ils en voie de déstigmatisation grâce à la valorisation patrimoniale (mais aussi parfois commerciale) de la diversité, ou, au contraire, la discrimination subie par les locuteurs possédant un accent local et/ou social marqué ou perçu/revendiqué comme tel, conduit-elle toujours au nivellement, à la diffusion du standard et au recul des variétés régionales ? Autrement dit, voit-on se renforcer le monocentrisme national, notamment par la diffusion des médias hégémoniques ou assiste-t-on à l’émergence d’un pluricentrisme, où certaines villes (Marseille, Toulouse, Lille, Genève, Lausanne, Bruxelles…) deviennent de nouveaux pôles de diffusion de traits linguistiques valorisés ? Quelles différences générationnelles observe-t-on empiriquement au sein de familles ?
5. Comment les accents, sont-ils traités dans la création au sens large, dans les médias, par les artistes (acteurs et actrices, doublage, humoristes…), la publicité, etc. : comment ces activités de création s’emparent-elles des accents, comment les mettent-elles en scène et/ou en discours, comment les stylisent-elles, les spectacularisent-elles ? On pourra notamment explorer les modalités de présence et les fonctions que revêtent les accents dans la création au sens large.
6. Comme chacun·e peut s’en apercevoir en regardant des documents filmés d’archives, les accents régionaux, sociaux, changent avec le temps. Qu’est-ce qui change ? Comment la sociolinguistique peut-elle étudier ces changements (en a-t-elle les moyens) ; quel dialogue avec la dialectologie ? (voir par exemple https://www.arteradio.com/serie/tout_fout_le_camp)
Toute proposition de communication portant sur l’accent, rédigée en français ou en anglais, quelle que soit son ancrage disciplinaire sera examinée (sociolinguistique, (socio)phonétique, TAL, psychologie sociale et/ou cognitive, histoire, sciences politiques…) par deux membres du comité scientifique (double évaluation anonyme).
Votre proposition contiendra 3000 caractères maximum, hors références bibliographique.
Les communications, présentées en français ou en anglais, dureront 20 minutes et seront suivies de 10 minutes de discussion.
Calendrier
1er appel à communication : 31 mai 2021
2ème appel : 27 septembre 2021
Deadline soumissions : 28 octobre 15 novembre 2021
Transmission pour évaluation des propositions : 20 novembre 2021
Deadline remise évaluations : 23 décembre 2021
Sélection des communications : > 15 février 2022
Notification d’acceptation/refus : 28 février 2022
Publication programme : fin mars 2022
Colloque: 17-19 mai 2022