Entretien vidéo avec deux professeurs de fle ayant une expertise de plusieurs décennies dans l’enseignement du fle à tous les niveaux, ayant connu toutes les modes, toutes les méthodes. Bilan de leur expérience.
Quelques points de repère
Dans cette vidéo, sont évoquées les premières méthodes audio-visuelles de fle des années 60-70 ainsi que les manuels actuels. En passant par les Approches comunicatives et autres courants dominants d’une époque donnée.
Il est également utile de mentionner que des méthodes dites non conventionnelles apparaissent à des moments divers en regard de celles ayant pignon sur rue. Tout ceci met en avant l’extrême complexité du métier de prof de fle. Il doit en permanence se former, s’informer, voire se déformer. Car les modes pédagogiques se succèdent rapidement dans l’univers du fle. Un clou chasse l’autre en moyenne tous les dix ans. Naturellement, les tenants de la mode du moment disent très souvent pis que pendre de la/des période(s) antérieure(s). Et les dinosaures de la période précédente jugent avec aigreur la/les période(s) postérieure(s) à leur heure de gloire.
Les tableaux et schémas de la galerie ci-après vous permettent éventuellement de vous repérer dans le monde complexe du fle. Soit avant de consulter la vidéo, soit pendant.
Quelques repères temporels pour le fle
Déroulement de l’entretien
Le canevas de la discussion avec les enseignantes est celui-ci:
• Vous avez connu toutes les grandes périodes du fle: celle des méthodes audio visuelles, les Approches communicatives, l’éclectisme et l’actuelle Approche actionnelle.
Y a–t-il une période marquante. Laquelle et pourquoi?
• Certains manuels ou ensembles pédagogiques vous semblent-ils présenter de réelles qualités pour enseigner le fle? Quels sont-ils et en quoi sont-ils remarquables?
• l’évolution du fle des années 60 jusqu’à aujourd’hui est-elle positive à vos yeux?
• Approches communicatives (années 80), approche actionnelle (2001 +). Pour des profs comme vous qui êtes sur le terrain, avez-vous noté une évolution dans les pratiques de classe / les manuels?
• Quels sont les manques d’après vous
– dans la formation actuelle des profs de fle
– dans les méthodes mises sur le marché
– au niveau de certaines thématiques non abordées, ou alors à la marge, dans la galaxie du fle?
• Fortes de votre expérience, quels conseils donneriez-vous aux jeunes profs?
Que sont les méthodologues devenus?
Dans les propos échangés durant cet entretien, il y a un regret commun: les méthodes d’antan étaient plus efficaces que celles de maintenant. Vous pouvez considérer qu’il s’agit là d’acerbes propos de trois dinosaures (cf. en supra) déversant leur fiel sur le thème intemporel: Ah, de mon temps!…
Il n’en est rien cependant. De fait, l’évolution du fle a fait disparaître un profil omniprésent au cours des années 60-70 et début années 80, celui du méthodologue. Progressivement remplacé par celui du didacticien qui apparaît début années 80.
Voyons ce que cela signifie. Deux précisions: 1) je me cantonne à une situation que je connais bien, celle de la France; 2) Mon opinion n’engage que moi. J’ai par ailleurs développé ce point de vue dans d’autres articles du blog indiqués au bas de ce billet.
Le schéma ci-après aide à éclairer mon propos.
Les acteurs du fle apparaissant sur ce schéma sont concernés, à des degrés divers, par les quatre « niveaux » suggérés.
Le temps des méthodologues
Les première méthodes de fle des années 60-70 -que je qualifie volontiers de période pionnière- ont été élaborées par des méthodologues. Ceux-ci concevaient l’ensemble du matériau pédagogique qu’ils testaient in vivo, avec des classes d’apprenants étrangers. Les méthodologues collaboraient étroitement avec des professeurs de fle qui utilisaient également ces méthodes innovantes et leur faisaient part de leurs remarques et impressions. Les différentes propositions très concrètes de techniques et de pratiques de classe faisaient réellement l’objet d’échanges entre professeurs de terrain et méthodologues. Ces derniers s’investissant, de par leur statut, dans les apports possibles en provenance de certaines disciplines contributoires ainsi que dans la « pédagogisation » de matériaux livrés tels quels et destinés à la réalisation d’ouvrages de fle : les listes de vocabulaire du français fondamental, les répertoires d’Actes de parole de 1Niveau Seuil, le prône du CECRL.
Profs de fle de terrain et méthodologues établissaient une relation de partenariat. Ils donnaient cours dans des classes authentiques, s’efforçaient de résoudre ensemble les problèmes concrets qui se présentaient.
De plus, les méthodologues avaient un rôle de formateurs de formateurs et payaient de leur personne: ils faisaient fréquemment des cours de démonstration avec une classe expérimentale sous les yeux de leurs collègues enseignants. Et acquerraient ainsi une légitimité. Les profs voyaient bien que le méthodologue connait son affaire et ne tient pas un discours du genre Faites ce que je vous dis de faire et vous verrez que ça va marcher.
De nos jours, on retrouve une démarche de méthodologue chez certains formateurs de formateurs qui animent des formations/stages en procédant à des démonstrations de classe en direct et/ou en utilisant des vidéos dans lesquelles ils apparaissent en action devant un groupe-classe.
Le temps des didacticiens
Il démarre difficilement en France dans le courant des années 70. Le concept de didactique est malaisé à définir. Pour les uns, c’est une discipline qui emprunte à la fois à la méthodologie et à la (psycho)pédagogie afin d’enseigner une langue étrangère, ici le fle. Ce qui nécessite des connaissances en linguistique notamment. Cette discipline expliquant scientifiquement le fonctionnement interne de la langue et de ses divers sous-systèmes fait partie du bagage de toute personne devant l’enseigner ou élaborer du matériel pédagogique pour ce faire. Pour d’autres, c’est une discipline nouvelle devant trouver son autonomie en se situant à la croisée de disciplines reconnues. Mais en s’en démarquant pour affirmer sa spécificité.
La porosité des concepts
une discipline originale
Le didacticien s’impose aux dépens du méthodologue durant les années 80.
Le fle devient une discipline universitaire: la maîtrise est créée en 1983, les licences mention fle l’année suivante. Les cours sont désormais assurés par des enseignants-chercheurs titulaires. Tous ont en commun d’être titulaires d’un doctorat permettant leur recrutement -certains provenant du fle avec une expérience réelle, d’autres absolument pas-. Très souvent des chargés de cours -enseignants vacataires en France- complètent les équipes pédagogiques, car, déjà, dans les années 80, l’encadrement était insuffisant. Et sur ce plan, rien n’est allé ni ne va en s’arrangeant.
Un membre statutaire de l’université est un enseignant-chercheur. En fait, une carrière universitaire se construit essentiellement sur la notoriété acquise par telle ou telle personne dans son domaine d’expertise. Concrétisée principalement par le nombre de publications -articles dans des revues dites « prestigieuses », ouvrages divers, conférences, invitations dans des colloques, Journées d’Études et autres manifestations scientifiques, ainsi naturellement que des articles ou des ouvrages de « vulgarisation » -ce mot s’accompagnant d’un petit sourire amusé-. Tout est soigneusement consigné dans le CV de l’enseignant-chercheur, dans des rubriques très précises.
C’est à partir de ce moment que les didacticiens de langues étrangères et donc du fle apparaissent dans le paysage. Dans la figure précédente, ils apparaissent « en haut », à proximité des disciplines-ressources et des référentiels qui constituent une grande source d’inspiration et d’hypothèses à creuser. Le didacticien est d’abord un chercheur. Il n’a plus le temps d’aller sur le terrain ni de rencontrer les profs praticiens. Il s’efforce de confirmer ses hypothèses, élabore des théories, échange avec ses collègues didacticiens dans des colloques, propose des modèles que les enseignants devront appliquer dans la classe. Le didacticien a avec l’enseignant une relation d’autorité: Faites ce que je dis et ça va nécessairement marcher avec vos élèves, mes recherches le prouvent.
Le didacticien de fle n’est plus forcément un spécialiste de linguistique. La parcellisation des champs disciplinaires -spécialité bien française: à chacun son pré carré- et le jeu des recrutements font qu’il peut provenir des Sciences de l’Éducation, plus rarement de Psychologie ou de Lettres modernes. Pour certains, cela illustre bien l’ouverture du fle. Pour d’autres, dont moi, une personne n’ayant aucune formation de base en linguistique n’est pas apte à enseigner le fle sur le terrain. Mais pardon: le didacticien enseignant-chercheur ne se commet plus avec le terrain, sauf s’il est nommé dans une structure type DEFLE (Département d’Etudes du fle).
Le temps passant, la notoriété d’un enseignant-chercheur est d’abord due au fait qu’il est un chercheur-enseignant publiant. Les laboratoires de rattachement adossés aux départements d’enseignement s’invitent dans le débat du recrutement des cadres dès la fin des années 90 et leur poids va croissant. Leurs intérêts ne coïncident pas nécessairement avec les aspirations de l’équipe pédagogique. Ce qui constitue une source de tension supplémentaire.
L’arrivée du CECRL en 2001 marque un tournant. Qui constitue un nivellement par le bas de la didactique. Tous les pays de l’Union européenne doivent avoir la même pensée pour des orientations communes facilitant les échanges et les évaluations linguistiques. Le discours est désormais très formaté. La méthodologie est officiellement évacuée du Cadre (cf. p. 110 de la version papier du document). Ce qui tombe bien. Le didacticien chercheur-enseignant peut désormais se consacrer entièrement à ses travaux au sein de son labo sans avoir à perdre son temps dans une vraie classe de fle. Les applications pratiques se raréfient, les discours savants se multiplient.
La réforme LMD -Licence Master Doctorat- est effective en 2006. Et contribue à brouiller davantage le paysage du fle en France. Jusqu’alors, toutes les universités habilitées à délivrer les diplômes nationaux fle avaient un programme commun de formation avec les mêmes matières. Une plus grande autonomie leur est concédée avec le passage au LMD. Ce qui donne lieu dans certains cas à une émancipation les éloignant peu ou prou des valeurs de base du fle. Mais ceci est une autre histoire.
La vidéo illustrant cet article fait émerger un constat. Il n’y a plus de méthodologue à l’ancienne aujourd’hui en fle… Comme il n’y a plus de souffle épique dans la discipline. Seulement un discours didactique convenu ne débordant guère des limites du Cadre de la bienséance universitaire.
Autres articles consacrés à la crise de la formation en fle
Sources imagettes de la figure: Openclipart et Clipart.me
Merci pour cette vidéo très intéressante. J’enseigne le breton depuis 15 ans et en tant que bénévole, le français depuis 3 ans à un public de demandeurs d’asile. Je ne peux qu’approuver les propos de vos interlocutrices sur les thématiques qui n’évoquent rien (genre : choisir un menu au restaurant, aller à l’opéra, ou votre maison idéale, quand certains sont SDF ou ne savent ce qu’est un opéra). C’est pas facile de trouver des thématiques innovantes et qui portent! J’abonde aussi sur l’écrit trop tot pour des gens souvent alphabétisés dans d’autres alphabets ou bien qui n’ont pas été scolarisés. Comme beaucoup de bénévoles passent par l’écrit, et bien, ils ne comprennent pas grand-chose. J’essaie de faire de l’oral et d’écrire seulement à la fin ce qu’on a vu, et je demande de prendre des photos à ceux qui galèrent trop pour écrire (et de réécrire à la maison). Et j’ai des bons retours de la méthode TPR (Total Physical Response) que j’utilise depuis 4 ans en breton avec un public breton et que je transfère en FLE avec les demandeurs d’asile. Ca permet de faire du structural en bougeant, et en faisant des truc rigolos. C’est pas la panacée mais je trouve que ca « débourre » bien les débutants sans écrit, sans trop d’ explication grammaticale et avec des structures de base. Et j’essaie de développer une stratégie qui n’est pas partagée par tous, mais j’apprends le persan et quand j’ai des groupes très débutants, j’essaie de ne prendre que des persophones (afghans et iraniens) , comme ça, j’apporte des précisions en persan si besoin (et ca me permet d’entendre quand il y a des explications un peu à coté de la plaque qu’ils s’échangent entre eux, quand le cours est exclusviment en français). Voilà, fini ma tartine, c’est juste votre vidéo qui m’a inspirée! Merci!
Merci pour votre témoignage.