L’évolution des manuels de phonétique corrective en fle. Dans cet article, nous envisageons la période s’étendant des années 90 à aujourd’hui.
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Les manuels de phonétique corrective à dominante prosodique.
Ils apparaissent durant la période dite de l’éclectisme au cours des années 90.
✔︎ Un ouvrage de transition soulignant l’importance des facteurs prosodiques.
Il s’agit du très agréable ouvrage de D. Abry et M.-L. Chalaron. La première partie, relativement brève, met en évidence les caractéristiques rythmiques, mélodiques et accentuelles survenant en français. Les auteurs insistent sur l’importance de la perception et reproduction des groupes rythmiques, des contours intonatifs de base ainsi qu’au repérage de l’accent. Elles soulignent que cette vigilance doit rester constante quand les apprenants travailleront au niveau de la phrase et du texte dans les chapitres suivants portant sur l’articulation des voyelles et des consonnes.
A ma connaissance, c’est la 1ère fois qu’un manuel pratique de phonétique corrective du fle s’ouvre sur un travail spécifique consacré à la prosodie. Avec des rappels façon cailloux du petit Poucet quand les auteurs, après avoir abordé les voyelles, traitent des phénomènes de liaisons et d’enchainements ainsi que de la chute ou du maintien du [ə] pour aborder ensuite les consonnes. Si on suit le plan du livre, on a périodiquement des éclairages sur la syllabation et la rythmique quand on s’engage dans ces chapitres particuliers.
Jusqu’à la parution de ce manuel en 1994, la prosodie pouvait[litetooltip targetid= »litetooltip_1539700014888″ location= »top » opacity= »1″ backcolor= »#E54C3B » textcolor= »#ffffff » textalign= »center » margin= »5″ padding= »10″ trigger= »hover »]
Les références renvoient aux ouvrages cités dans l’article précédent
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- être absente d’un manuel qui traitait exclusivement des voyelles et des consonnes (Mercier, 1976);
- abordée en introduction mais d’un point de vue strictement théorique (Donohue-Gaudet, 1969);
- faire l’objet d’une partie particulière, par exemple 1ère partie voyelles et consonnes – 2ème partie rythme et intonation. Les 2 parties n’étant pas reliées entre elles (Léon et Léon, 1964);
- être abordée en introduction mais utilisée comme élément de correction s’appliquant aux voyelles et aux consonnes (Callamand, 1981).
✔︎ Pleins feux sur la prosodie.
☞ C’est en 1998 que parait la 1ère édition de la suite Phonétique progressive du français chez Clé international. Les manuels composant cet ensemble rompent radicalement avec la tradition de la période précédente. Les faits prosodiques sont immédiatement abordés selon un plan très astucieux en trois grandes parties.
Première partie: les caractéristiques du français
- le rythme
- la musique et l’intonation
- les lettres non prononcées
- la chaine des mots et la continuité
- Deuxième partie: les sons spécifiques du français
- le /y/
- le /z/
- le /ɶ/
- le /ɑ̃/
- le /u/
- le /R/
Troisième partie: Les principales difficultés du français
- La tension
- la sonorité
- la labialité
- l’acuité
- autres difficultés
Les différents paramètres prosodiques sont très bien traités dans la première partie. Les sons du français – 2ème partie- sont diagnostiqués de façon « mixte » en évoquant simultanément des critères articulatoires mais aussi relevant de la MVT (tension, acuité).
Les diverses activités sont fort bien menées. Il est largement fait appel à l’esprit d’observation des étudiants. Les explications sont précises et brèves. Elles doivent être compréhensibles des élèves étrangers. Un jeu de symboles visuels permet d’ailleurs d’éviter de trop longues explications.
La partie consacrée aux principales difficultés du français constitue une excellente initiative. On peut toutefois se demander dans quelle mesure des professeurs non formés à la phonétique corrective y sont sensibles… sans parler des apprenants.
Il n’empêche, l’ensemble est percutant. Au « niveau avancé », on apprécie le travail proposé sur le rythme qu’il serait effectivement vain de négliger sous prétexte que les apprenants s’expriment bien à l’oral. La partie dévolue à l’intonation est également de nature à susciter la curiosité et l’engagement des apprenants. Les auteures reviennent sur les intonations basiques associées à l’assertion, l’interrogation, au commandement. Pour développer ensuite des intonations expressives émotionnellement marquées. Et aborder le champ si délicat à traiter à l’oral des différents styles de parole…
☞ La prononciation en classe est un ouvrage paru en 2014 et qui fait la part belle à la prosodie à travers des activités ludiques et sympathiques. Et la volonté d’aborder la phonétique de façon décontractée, décomplexée. Les trois auteures veulent accompagner les apprenants dans leur découverte du monde sonore du français. J’avais déjà évoqué cet ouvrage dans cet article.
☞ La phonétique essentielle du français est publiée en 2016 chez Didier en 2 volumes couvrant les niveaux A1/A2 et B1/B2. Là encore les différents paramètres prosodiques sont présentés avec beaucoup de soin. Les sons sont abordés dans une perspective articulatoire. Un jeu de symboles visuels est proposé à l’apprenant afin de retenir les informations importantes. La relation phonie – graphie est également valorisée.
Au niveau B1/B2, un travail soigné sur l’intonation est proposé. On note avec intérêt la mention d’accents régionaux ainsi que divers accents francophones.
Quelques interrogations d’ordre pédagogique.
Les manuels de phonétique corrective du fle ont évolué, lentement mais sûrement. Je ne les ai pas tous présentés dans les deux articles; j’ai choisi ceux qui s’accordent le mieux à mon propos.
Il est également à noter que le matériel sonore est devenu plus sophistiqué. Les méthodes récentes incluent un CD mp3 fournissant plusieurs heures d’enregistrement. De quoi combler les attentes des élèves et des enseignants.
Tous les manuels de phonétique corrective appliquent les mêmes consignes combinées de différentes façons.
C’est à l’enseignant de décider selon quelle modalité il veut enseigner au moyen de ces ouvrages. Cela va d’un véritable travail collectif en classe à des exercices d’écoute/répétition auxquels les élèves se livrent devant leur ordinateur en utilisant les enregistrements audio mis à leur disposition. Le professeur et l’élève s’appuient sur les consignes introduisant telle ou telle activité. On ne trouve pas d’indications sur la manière dont l’enseignant doit doit intervenir.
L’élève peut-il travailler en autonomie en disposant du manuel et des enregistrements ? C’est évident, à lire la préface de n’importe quel manuel. Mais il est difficile de répondre. Si l’apprenant est très motivé, il a certes de quoi écouter et répéter. Mais quelques questions essentielles subsistent :
1. tant que la surdité phonologique de l’apprenant n’est pas entamée,
- à quoi servent ces exercices d’écoute/répétition ?
- Ont-ils réellement une utilité ?
- L’élève travaillant seul peut-il vraiment contrôler sa production ? Si oui, de quelle manière?
- Est-il en mesure d’apprécier ses éventuels progrès? Si oui, en s’appuyant sur quels critères?
2. L’élève peut suivre sur le manuel. Les explications sont précises et minimalistes, il en est de même pour les schémas. Les symboles visuels constituent une approche complémentaire. Encore faut-il qu’il les comprenne convenablement. Et même si c’est le cas, qu’est-ce qui garantit
- Qu’il aura le « bon » geste articulatoire ? En fait une combinaison complexe de mouvements de plusieurs organes se mouvant à des vitesses différentes et qu’il faut coordonner…
- Qu’il saura en apprécier la validité;
- Et pourra le reproduire? En émettant le son cible dans divers contextes phonétiques en raison du phénomène de coarticulation.
Le flou subsiste autour des réponses possibles. Dont on ne trouve trace, à ma connaissance, dans aucun manuel.
Quoi qu’il en soit, tous ces manuels ont l’immense mérite d’exister. Et d’apporter une aide précieuse à leurs utilisateurs.
Et aussi, en matière d’enseignement de la prononciation, rien de vaut la présence d’un professeur capable d’intervenir efficacement et humainement pour remédier aux problèmes de ses élèves.
Je me suis très souvent appuyée sur le petit livre violet ,lui et moi on faisait une bonne équipe..et on faisait du joli travail .jadis…pardon pour le côté un peu anecdotique de mon commentaire !
Ce livre est excellent et il faut rendre justice à ses auteurs. Elles le méritent amplement.
on ne peut pas tout citer mais j’ajouterais le livre « D’accord » de Sylvie Carduner et Peter Hagiwara ainsi que les livres de Jean Guy Lebel.
ces livres abordaient la prosodie bien avant les autres !
cordialement,
Michèle
Tout à fait d’accord, je l’avais joué franchouillard soit hexagonal. J’aime beaucoup ce qu’a écrit J.-G. Lebel.
Cher Michel,
Merci pour cette belle mise en perspective de l’enseignement de la prosodie en classe de FLE. Voici un article très précieux qui pourra guider la consultation de ces manuels.
Les questions d’ordre pédagogique ont toute leur pertinence. La surdité phonologique a sans doute été traitée dans ce blog ; en quelques pistes, par quelles actions l’enseignant peut-il aider l’apprenant à « entamer » cette surdité, tant phonologique que prosodique ?
Geneviève
C’est là toute la question…