Pour un didacticien, la première tâche est de caractériser l’objet sur lequel il travaille. Qu’est-ce que l’oral ? Comment le définir ? A priori, la question semble naïve tellement la réponse est évidente : l’oral, c’est quand on parle. C’est pourtant simple ! On pourrait ajouter : l’oral, c’est aussi quand on écoute. Tout ceci est frappé au coin du bon sens. Mais est-ce là une explicitation du terme qui nous intéresse ? Certainement pas. En fait, il est très difficile de cerner l’oral, de le circonscrire. Ce que cet article va s’attacher à rappeler.
Quels mots emploie-t-on pour parler de l’oral ?
L’oral est très souvent défini non par lui-même mais au moyen d’un quasi-synonyme. En effet, il n’est pas rare qu’une personne ait recours à un autre terme pour le qualifier si on lui demande de préciser sa pensée pour expliquer ce qu’est l’oral. Le tableau ci-dessous en recense quelques uns. Nous ne commentons que ceux qui sont les plus employés spontanément.
Oral et expression. C’est ici une vision normative de l’oral qui a cours. Il faut s’exprimer à l’oral sur le modèle de l’écrit. Il existe des techniques pour ce faire. Il convient d’apprendre à organiser sa pensée, de veiller à la justesse et à la clarté du lexique et des tournures morphosyntaxiques, de soigner et structurer l’argumentation, etc.
Oral et communication. Communication devient le maître mot dans les années 60-70. Les recherches s’orientent vers le fonctionnement de l’oral. L’accent est principalement mis sur les :
- éléments et caractéristiques de la communication orale. Les fonctions du schéma de Jakobson font l’objet d’analyses minutieuses ;
- conditions physiques et psychologiques de la communication orale. On s’intéresse au rôle et au statut de l’émetteur et du récepteur, termes fréquemment usités pour désigner les protagonistes des échanges langagiers. Le canal de communication est également objet d’étude ;
- les types de communication orale:
– la communication avec échange: le dialogue, l’interview et l’entretien, les réunions
– la communication orale sans échange : l’exposé, le discours
– la communication en face à face, à distance, en différé.
Oral et interaction. Ce terme occupe le devant de la scène dès le tout début des années 80. Il ne s’agit plus de décrire les différents types de communication. Désormais, l’objectif est de démonter les mécanismes de fonctionnement des interactions orales en situation de communication authentique. Cette vision est confortée par l’explosion des études sur la cognition. Celles-ci nourrissent la réflexion interactionniste. Les travaux menés autour de l’interaction sociale amènent à considérer qu’elle
- est partie prenante dans la constitution des processus cognitifs ;
- constitue un processus structurant dynamique permettant à l’apprenant, échangeant avec d’autres acteur sociaux, de développer ses compétences langagières et, partant, ses savoirs et savoir-faire.
En filigrane, on voit donc se profiler l’intérêt pour les stratégies d’apprentissage qui seront mises en vedette quelques années plus tard. Oral et verbalisation. C’est l’extériorisation par le langage. Le verbe correspondant est souvent utilisé comme équivalent plus recherché de parler.
L’oral, royaume de la variation.
Dans une vision structuraliste classique, chaque membre d’une communauté linguistique donnée est détenteur de la langue. La langue est une et homogène. Elle est l’outil de communication par excellence, assurant l’intercompréhension.
Dans une optique sociolinguistique, chaque personne à une manière singulière, bien à elle, d’utiliser la langue et de lui donner vie et corps par la parole. Celle-ci est caractérisée par la variation idiosyncrasique : tout individu a une façon individuelle, originale de parler : inflexions prosodiques, articulation de certains sons, recours à des items lexicaux ou des emplois syntaxiques préférentiels, tics langagiers, etc. L’oral, vecteur de la parole en situation, est marqué par l’hétérogénéité, la non uniformité. Et ce bien davantage que l’écrit qui lui est plus stable, prévisible, normé. La variation s’observant à l’oral est plurielle comme rappelé dans la figure ci-dessous.
La variation s’observe dans le temps. Une langue évolue en permanence, ses emplois et usages également. Au fil des décennies, certains mots tombent en désuétude ou changent de sens, d’autres apparaissent, des sons ou combinaisons phonologiques caractéristiques d’une époque s’évanouissent dans le passé.
La variation arpente l’espace. Selon les régions de la francophonie, les mots, les expressions, les tournures syntaxiques, la prononciation (sons, rythme intonation) varient dans des proportions parfois considérables.
La variation concerne l’ensemble de la société qui se doit de manifester des comportements acceptables et admis par tous par rapport à une situation de communication donnée. Dans ces échanges langagiers, les protagonistes adoptent tel ou tel niveau ou registre de parole. Ceci a pour effet d’entrainer des changements stylistiques ou fonctionnels. Au cours d’une interaction, il n’est pas rare de passer soudainement d’un registre à l’autre. L’oral est beaucoup plus primesautier et imprévisible que l’écrit.
Les registres de langue, une création didactique de la variation à l’oral.
Le travail sur les niveaux (registres) de langue a débuté dans les années 60 avec l’émergence des méthodes audio-visuelles qui prônaient un enseignement exclusivement centré sur l’oral pendant plusieurs dizaines d’heures avant d’envisager le « passage à l’écrit ». L’accent était pour la première fois mis sur l’apprentissage par l’élève d’une langue courante. Le matériau lexical était dispensé en fonction des listes de vocabulaire établies suite à l’enquête du Français Fondamental. L’excellent tableau ci-après illustre la problématique qui se posait aux méthodologues de l’époque. Il convenait d’enseigner d’abord une, langue courante passe-partout. Puis, de glisser progressivement vers d’autre niveaux au fur et à mesure de la compétence linguistique de l’apprenant.
Les Approches communicatives des années 80 exploitent à fond le principe des niveaux de langue. Elles veulent doter l’apprenant d’une compétence linguistique « authentique » se démarquant d’une langue aseptisée que personne ne parle au dire de certains didacticiens. D’où une myriade d’activités portant sur des mots, des expressions, des actes de parole signifiant sensiblement la même chose mais appartenant aux registres standard, familier, relâché, (la différence ?) relevé, etc.
L’oral, grand perdant face à l’écrit.
Face au prestige attaché à l’écrit, l’oral n’a aucune chance, tant auprès du grand public, des puristes, que des professeurs s’imaginant que l’écrit et l’oral doivent s’enseigner « à égalité ». La domination de l’écrit au détriment de l’oral est due
- à la tradition. L’écrit constitue une part importante de la mémoire collective: textes sacrés, des grands auteurs, etc. L’écrit est une part active et visible de la culture;
- au poids de l’école. Dès que l’enfant apprend à lire et à écrire, tout se passe par le truchement de l’écrit. L’oral y est subordonné. Pour bien parler, il faut bien écrire et bien lire.
L’écrit dispose aussi d’atouts objectifs de poids, et notamment:
- une (?) grammaire décrite dans les moindres détails
- des conventions orthographiques précises
- des genres textuels bien délimités et aux caractéristiques bien établies
En face, l’oral fait pâle figure:
- la « grammaire du français parlé » est toujours à décrire, même si d’intéressantes contributions ont vu le jour;
- les « genres oraux » sont difficiles à cerner;
- face à l’ordre scriptural, le désordre apparent de l’oral n’est est que plus flagrant:
– toute personne peut sans préavis passer d’un registre de langue à l’autre et en utiliser plusieurs au cours de la même interaction;
– il y a souvent des cafouillages et autres bafouillages à l’oral: retours en arrière et reprises, formulations incorrectes, hésitations diverses, syntaxe malmenée, « phrases » non achevées, difficulté à trouver le bon terme, transgressions et autres passages du coq à l’âne, etc.;
Les même règles ne s’appliquent pas à l’écrit et à l’oral.
Tant qu’on les met sur le même pied, l’écrit s’impose par rapport à l’oral. La stabilité rassurante de l’écrit s’oppose aux imprévisibles -donc inquiétantes- fluctuations sinueuses de l’oral. En fait, le couple oral/écrit fonctionne selon des modalités différentes. L’écrit est un produit fini. On admire les pages immortelles des grands écrivains en oubliant que eux aussi ont dû s’y reprendre à maintes reprises avant de proposer la dernière version de leur oeuvre. Et vous, lecteur, souvenez-vous de vos dissertations et autres commentaires écrits qui ont gâché maintes fins de semaine de votre adolescence. L’oral est un produit en construction. Il se vit en direct. Avec toutes les imperfections et lacunes qui en découlent. L’écrit est le résultat d’une pensée achevée, l’oral le témoin d’une pensée en mouvement. Ce sont des virtuosités différentes. Le mode d’emploi de l’écrit fait l’objet d’un catalogue bien nourri et bien construit. Quid du mode d’emploi de l’oral? Les même unités ne servent pas pour analyser ces deux facettes du langage. L’écrit a comme unité la phrase. Celle-ci est complètement non opératoire à l’oral. Ce sont d’autres unités qui interviennent dans les interactions verbales. L’oral s’acquiert naturellement, sans aucun effort. Tout individu devient un expert linguistique apte à utiliser la parole dans sa langue maternelle. L’écrit résulte d’un apprentissage, parfois difficile, étalé sur plusieurs années, et dont le résultat n’est pas garanti.
Voici esquissés maints aspects des phénomènes de l’oral qui inspireront d’autres articles dans la suite de ce blog.
Merci pour cet article. Très pertinent. M’ a beaucoup servi pour mes notes( je suis en ce moment un cours de didactique de l’enseignement du français : compréhension et production orales.
🙂
Merci beaucoup pour cet article
merci à vous
La lecture de votre article m’a servi de trouver la différence la plus exacte entre la communication orale et écrite et de savoir que l’oral n’a pas de fautes
mais en revanche il est un code personnel et naturel de la langue .
Merci beaucoup pour ces explications que je vais exploiter dans ma contribution dans un colloque sur les pratiques de l’enseignement de l’oral à l’université algérienne.
vous m’en voyez ravi