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Plus c’est court, plus c’est bon

En oral spontané en français, plus c’est court, plus c’est bon. Il existe une tendance généralisée à « couper » les mots, à utiliser des sigles ou bien des acronymes. L’essentiel est de faire passer du sens en un minimum de temps et en s’économisant. Retour sur ce phénomène omniprésent et prenant de l’ampleur, témoignant de la créativité ainsi que de la dynamique du français contemporain.

Mots phonétiques et abréviations diverses

Nos habitudes de prononciation s’expliquent dans le cadre des mots phonétiques et non des mots lexicaux. C’est le constat de F. Wioland qui les définit comme « […] des unités minimales de production et de perception qui signifient, que l’on peut observer dans les communications verbales, sans référence consciente à l’écrit, comme le sont les échanges et dialogues spontanés, soit présentiels, soit téléphoniques ».

Le blog a consacré un tuto vidéo au mot phonétique qui constitue une unité de travail indispensable pour tout prof de fle s’intéressant à l’enseignement de la prononciation.

De même, l’ouvrage ci-contre de F. Wioland est une lecture incontournable.

Il est intéressant de savoir que Wioland analyse le français oral spontané. Celui vers lequel devrait logiquement tendre tout apprenant de fle – mais ce français est-il vraiment représenté dans les méthodes et manuels? Et est-il enseignable, seulement?

Le diaporama suivant rappelle quelques principes essentiels régissant l’emploi des mots phonétiques en production comme en perception. Wioland est un phonéticien. Il souligne l’extrême importance des accentuations – des saillances rythmiques – dans les processus de perception et de production. Il est également sensible aux divers phénomènes d’abréviations utilisés à tout bout de champ en français oral spontané. Notamment celui de la troncation dont il sera question dans la prochaine section de cet article.

la banalisation du phénomène de troncation à l'oral

La troncation, est étudiée en détail par Bernard Cerquiglini (2019) dans son dernier ouvrage paru il y a quelques jours. Lecture jubilatoire garantie. B. Cerquiglini est un linguiste professionnel, toujours à l’affût de la moindre nouveauté -ici, lexicale- qu’il note scrupuleusement. Disposant d’un corpus étendu, il applique les outils de la linguistique afin d’expliciter et de démonter les mécanistes de la troncation ainsi que son fonctionnement dans la langue.  L’ouvrage se lit d’une seule traite, l’érudition de Cerquiglini étant servie par une écriture enlevée et une bonne dose d’humour.  Un très bel exemple de linguistique à la fois rigoureuse et pédagogique

Il n’entre pas dans mon intention de me livrer à une recension de cet ouvrage. Etant donné la thématique du Blog,  il m’apparaît plus pertinent de croiser les informations toutes récentes de B. Cerquiglini avec celles plus anciennes de F. Wioland.

En commençant à rappeler une évidence: le phénomène d’abrègement est un pur produit de la parole. Il se réalise d’abord à l’oral: argot des voyous, parlers de certains métiers, connivence entre membres de mêmes groupes sociaux, etc. Les listes collectées par B. Cerquiglini sont à cet égard éloquentes.

Mais ce phénomène a une conséquence que ce linguiste commente à l’envi: une extension de la syllabation du français de type VC. Alors que notre langue est toujours décrite comme ayant une structure syllabique à forte dominante CV (80% théoriquement). Et ça, ça nous intéresse énormément.

On n'y coupe pas

Rappel du phénomène de troncation qui s’effectue soit en début soit en fin de mot. Le mot résultant de cet abrègement est appelé troncat.

l'aphérèse

La tendance à couper les mots à l’intitiale n’est pas très répandue en français. On  l’observe dans des mots  qui étaient en usage au XIXe aujourd’hui passés de mode. Dans certains prénoms, l’emploi faisant désuet de nos jours. Ainsi: 

Nicolas –> Colas; Antoine –> Toine; Elisabeth –> Babette (ou Babet’?) –> Babé

Il y a quelques cas d’aphérèse redoublée:

musique –> zizique; prison –> zonzon, communiste –> coco; Billières –> Bibi

B. Cerquiglini (ibid. p. 17) estime que des formes comme blème (pour problème), jour (pour bonjour) ou encore soir (pour bonsoir) ne constituent pas vraiment des aphérèses. Elles sont plutôt la marque d’une prononciation relâchée, hypoarticulation poussée à l’extrême. Il  note également que l’ablation par aphérèse ampute le radical du mot qui  peut devenir difficilement reconnaissable de ce fait. C’est vrai qu’il faut être en contexte pour décrypter un nateur désignant en fait un ordinateur! (exemple perso entendu l’an dernier à trois reprises… en master fle).

l'apocope

Couper les fins de mot est terriblement tendance. Et n’est pas uniquement le fait des bobos. Voici quelques exemples donnés à la volée:

amphithéâtre –> amphi; examen –> exam; faculté –> fac; cinématogrqphe –> cinéma –> ciné; laboratoire –> labo (formes en « o » très productives) colocataire –> coloc; colonie de vacances –> colo, vélocipède –> vélo, ordinateur –> ordi, etc.

Les apocopes peuvent être à finale

✔︎ vocalique: cradingue –> crado; locomotive –> loco; aspirateur –> aspi; kinésithérapeute –> kiné, aluminium –> alu, etc.

✔︎ consonantique: professeur –> prof;  instituteur –> instit; collection –> collec; amphétamines –> amphèt; association –> assoc (on dit aussi asso), procureur –> proc, etc.

En toute logique, Bernard Cerquiglini propose

– d’appeler apo une apocope à finale vocalique obtenue par découpage syllabique standard, celui que tout francophone fait intuitivement à l’oral: association –> asso [aso]; cradingue –> crado; amphétamines –> amphé , directeur –> dirlo, etc;

– de réserver le terme apoc à un découpage s’appuyant sur la consonne ouvrant la syllabe suivante: association — >assos [asɔs]; cradingue –> crade [kʁad], amphétamines –> amphèt, allocations –> allocs, scooter –> scoot, etc…

L'expansion de l'apoc

Cette façon d’abréger les mots en les tronquant par apocope se répand de plus en plus en français contemporain. Je vais suivre de très près la démonstration de B. Cerquilini (p. 59 suiv.) qui observe le phénomène suivant: l’apocope consonantique engendre une nouvelle syllabation du français pour les mots mono- ou bisyllabiques s’achevant en syllabe fermée CVC ou CVCVC

✔︎ Classiquement, le français repose sur une segmentation syllabique de CV / CV. Par exemple, a/sso/sia/sion; –> asso; a/ppli/ca/tion  –> appli; ma/xi/mum  –> maxi…

✔︎ l’apoc provoque le rattachement en finale de troncat de la syllabe ouvrant la syllabe suivante du mot plein: a/ssos/ia/tion — >assos; app/li/ca/tion –> app; max/i/mum –> max…

Quand le phénomène se produit, il va toujours de l’apo vers l’apoc, jamais l’inverse: fasciste –> facho –> faf

Et Cerquiglini d’observer: « Le lexique français acquiert ainsi un nouveau format: il se conforme à un gabarit de brièveté à finale consonantique, dont le respect devient supérieur à la pratique classique de la syllabation « (ibid., p. 60).

Dit autrement, le mot français tend vers une structure de type CVC -cf. exemples plus haut- ou CVCC.

Dans ce 2ème cas, on a affaire à deux consonnes, chacune étant d’un côté de la coupe syllabique dans une scansion standard: in/crus/ta/tion; in/ter/ven/tion. Et pourtant nous disons incrust, interv…

Le respect des lois phonétiques de la langue dans les structures CVC

❐ l'assourdissement de consonnes finales

Il s’observe dans certaines régions. Ainsi, anniversaire est tronqué en anniv ou annif, université en univ ou unif (Belgique). Le mot argotique dargeot désignant le postérieur est souvent rendu par derche. A voir si le phénomène va s’étendre à d’autres mots.

❐ le [ə] instable

Source de frictions garanties entre les représentants de la langue d’Oc (vive la chocolatine!) et de langue d’Oil. Si vous voulez réviser vos classiques, allez consulter la section consacrée au « e » caduc dans cet article. B. Cerquiglini observe qu’un [ə] sourd vient s’ajouter aux troncats terminés par deux consonnes. Il en facilite la prononciation: bourgeois –> bourge; bargeot –> barge; falzar –> falz…

❐ les voyelle d'aperture moyenne

La règle est scrupuleusement observée dans le sud de la France

syllabe fermée  > voyelle ouverte: ɛ  œ ɔ

syllabe ouverte > voyelle fermée: e ø o

Ailleurs, il existe tout un tas d’exceptionnelles exceptions ayant une influence néfaste sur les  réunions  de famille et certains résultats aux examens entre autres.

Cette alternance vocalique en fonction de la syllabe est observée dans la troncation consonantique: bénéfice –> bénèf; agrégation –> agrèg; compétition — > compèt; survêtement –> survêt, etc…

c'est pas beau les chocos?

Lectrice, lecteur, si vous salivez à la vue de ces chocolatines et que cela ne vous file pas les chocottes pour votre ligne, je vous souhaite bon app!

4 commentaires sur “Plus c’est court, plus c’est bon”

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