Efficience des procédures de correction utilisées dans le cadre de la méthode verbo-tonale comparée à l’efficacité des outils proposés dans l’univers des TICE pour améliorer l’enseignement de la prononciation en L2.
Auteur invité du Blog
Issue des travaux du professeur Guberina sur la réhabilitation des malentendants et partie intégrante du courant méthodologique structuro-global de St. Cloud-Zagreb, la méthodologie verbo-tonale repose sur une assise scientifique solidement établie, un cadre pédagogique d’essence profondément humaniste qui place au premier plan le facteur relationnel et humain, une longue expérience de quelques (trop rares) didacticiens-phonéticiens-formateurs qui, alliant rigueur scientifique et pratique de terrain, en ont fait un outil hautement performant d’accès à la fluidité verbale et à l’authenticité phonétique en langue étrangère.
Un demi-siècle plus tard, elle est devenue une « technè », au sens classique du terme, c’est-à-dire un art conçu comme un savoir-faire artisanal transmissible (et non un savoir livresque ou, à l’inverse, un talent pédagogique opérant sans règles, dans la spécificité des cas d’espèce) qui fonde son efficacité à la fois sur une relation empathique à l’apprenant et sur la maîtrise cognitive et pratique des différentes étapes du processus de correction.
Dès lors que la méthodologie verbo-tonale a largement fait ses preuves et que son efficacité est indéniablement reconnue par les scientifiques qui consentent à observer des classes, c’est elle qui constitue le poste d’observation légitime et le référent canonique à partir duquel nous interroger sur les possibilités et les limites des nouvelles technologies appliquées à l’apprentissage de la prononciation en langue étrangère.
Si nous portons le regard du praticien-formateur sur les NTICE à l’aulne de la triple dimension humaniste, psychopédagogique et artisanale de la méthodologie verbo-tonale, les nombreuses divergences entre les deux approches apparaissent avec la force de l’évidence.
1. Le travail phonétique par la méthodologie verbo-tonale est une pratique socio-affective intégrée dans une pédagogie globale de la communication orale. C’est une philosophie qui investit la personnalité toute entière de l’apprenant dans sa globalité affective, intellectuelle et socio-culturelle. La correction phonétique s’effectue en classe et en équipe, dans un cadre spatio-temporel qui privilégie le contact humain et l’interaction entre les membres du groupe. C’est une entreprise collective où règnent participation, coopération active et solidarité. Cette approche hédoniste du travail phonétique est placée sous le signe ludique du plaisir : plaisir de vivre ensemble les rythmes et les mélodies de la langue nouvelle, de se laisser imprégner par ses sonorités et sa musicalité, de s’impliquer par le corps, la voix et le mouvement, d’investir tout son être dans une interaction en langue étrangère.
La nature de l’interactivité sociale dont il est question ici n’a rien de comparable avec l’inter-connectivité en réseau propre à l‘enseignement assisté par ordinateur. Dans les NTICE, les moyens d’interaction, du moins au départ (donc, au moment où tout se joue), sont limités à la souris et au clavier. Peut-on dire que la technologie de la reconnaissance vocale débouche sur une véritable interaction sociale, lorsque celle-ci se limite à entretenir une conversation avec la machine derrière un écran d’ordinateur ? L’apprenant s’entraîne en solitaire ou interconnecté, à distance ou en présenciel, à partir d’exercices préenregistrés centrés la plupart du temps sur la seule réussite chiffrée. Il en découle d’un côté une motivation des apprenants fondée sur le partage, le plaisir du vivre ensemble , la gratification réceptive, active et esthétique (pourquoi pas ?) qui naît de la rapidité des progrès directement perceptibles et reconnus par les membres du groupe ; de l’autre une motivation aléatoire basée sur la seule performance technique recherchée pour elle-même, motivation qui résiste difficilement à la surcharge mentale d’opérations procédurales complexes et chronophages (1), à l’assimilation d’un métalangage articulatoire et acoustique superfétatoire et à l‘absence de véritables rétroactions non ambigües, qui entérinent les essais réussis et renseignent sur le degré de perfectibilité de ceux à venir.
2. A la différence de l’EAO, le travail phonétique dans la pratique verbo-tonale est individuel mais la progression collective. Chaque membre du groupe fait l’objet de soins particuliers. L’enseignant accompagne l’élève pas-à-pas dans l’édification de sa compétence. Les dispositifs de remédiation sont personnalisés et adaptés aux difficultés de chacun. De ce fait, les progrès individuels sont immédiatement tangibles et servent l’évolution collective, dans la mesure où les apprenants non sollicités par l’enseignant ou momentanément en difficulté tirent parti inconsciemment des efforts de leurs condisciples pris en charge. Dans les groupes homogènes, les progrès sont d’autant plus perceptibles que tous les ressortissants de la même communauté partagent en commun le même système d’erreurs, cohérent et structuré, et que les procédures de remédiation appliquées à quelques apprenants profitent à l’ensemble du groupe (2) Ceci fait de la méthodologie verbo-tonale une approche du travail phonétique parfaitement adaptée à l’apprentissage de la prononciation dans les grands groupes.
3. Un des points de désaccord les plus notoires entre la méthodologie verbo-tonale et les produits informatiques actuellement sur le marché se situe au niveau de l’approche psychopédagogique du travail phonétique: d’un côté une guidance non intellectualisée du processus audio-phonatoire et une restructuration de la perception auditive à partir du « tout oral d’abord », de l’autre une démarche analytique qui privilégie un enseignement de type réflexif prenant appui sur l’interaction des facteurs visuels et auditifs, la raison invoquée étant l’importance de l’intellectualisation pour les élèves de type sérialiste et la nécessité de favoriser chez l’apprenant une prise de conscience du déroulement de son apprentissage.
Pour les tenants de la méthodologie verbo-tonale, au contraire, l’acquisition de la prononciation est un processus complexe (3) qui échappe aucontrôle intellectuel de l’élève. La mise en place par structurations successives des différents microsystèmes gagne à s’effectuer de la manière la plus naturelle et spontanée, car la démarche raisonnante suppose une réflexion constante, une analyse et une comparaison hautement préjudiciable à la spontanéité de expression. Ce sont, entre autres, des raisons similaires qui motivent les nettes réserves que les verbo-tonalistes formulent à l’encontre de la méthode articulatoire, de l’utilisation de l’alphabet phonétique, de la méthode des oppositions phonologiques ou encore de la phonétique contrastive. C’est pour ces mêmes motifs que ceux-ci ont toujours pris leurs distances par rapport à l’introduction prématurée de l’écrit avant l’accès à l’autocorrection par l’élève, qu’ils accusent, à juste titre, d’être responsable, avec la grammaire normative et la traduction, de la piètre production langagière de nombreux élèves à l’oral, et, assez paradoxalement, à l’écrit. (4).
Or, ces mêmes critiques, formulées il y a plus de trois décennies, s’adressent tout autant à l’EAO, dans la mesure où, sous le couvert d’un habillage informatif attractif, celui-ci véhicule des pratiques et des contenus qui sont restés, au demeurant, fort traditionnels et peu innovants sur le plan méthodologique. Nous pensons aux aides informatiques visuelles pour l’enseignement de la prononciation telles que la visualisation de la configuration articulatoire à partir de diagrammes animés, pour illustrer les mouvements des organes phonatoires ( qui se situe aux antipodes d’un travail de restructuration de la perception auditive), la visualisation des caractéristiques acoustiques des éléments segmentaux à l’aide de spectrogrammes ou d’oscillogrammes, la représentation visuelle des courbes mélodiques naturelles ou stylisées, procédé intellectuel qui est à la correction de la mélodie ce que la méthode articulatoire est à la correction des sons et dont l’efficacité nous paraît pour le moins contestable (5).
4. Contrairement à l’EAO, le travail phonétique par la méthode verbo-tonale ne se conçoit pas comme une activité cloisonnée, dissociée du reste de l’apprentissage de la langue et encore moins, cela va sans dire, comme une étude des phonèmes isolés. En effet, le phonème n’a pas de réalité en dehors de la structure rythmico-mélodique qui en conditionne la réalisation, les éléments prosodiques sont étroitement associés aux habitudes respiratoires et fortement chevillés dans des comportements mimo-gestuels et proxémiques, indissociables, à leur tour des schémas affectifs, conceptuels, discursifs et argumentatifs en usage dans la communauté dont on apprend la langue.
C’est pourquoi le travail phonétique est envisagé dans la classe de langue et dans le cadre d’une méthodologie structuro-globale qui exploite, tant pour l’établissement du diagnostic de l’erreur que pour la mise en œuvre des dispositifs de remédiation les rapports d’interdépendance entre les microsystèmes et intègre ceux-ci dans une pratique langagière en situation de communication authentique ou simulée. Aussi va-t-on puiser simultanément dans les ressources de tous les microsystèmes pour les besoins de la correction. Au cours d’un lent processus de maturation inconsciente, les différents éléments se mettront en place par approximations successives et réajustements constants, avec et par les autres.
5. La méthode verbo-tonale fonde le travail phonétique sur un principe méthodologique de base qui consiste à partir de l’erreur de l’élève, évaluer la distance qui sépare celle-ci du modèle initial et agir sur la perception de l’apprenant en lui proposant une réalisation qui accentue les caractéristiques audio-phonatoires inverses par rapport au modèle. L’établissement du diagnostic et l’adoption des stratégies correctives appropriées sont induits par l’enseignant à partir de la confrontation directe entre le modèle et l’état phonique confondu par le sujet, sans qu’il soit nécessaire de renvoyer celui-ci au système référentiel de sa langue maternelle ni de le doter d’un métalangage sur son fonctionnement.
Dès lors que la méthode verbo-tonale fonde son efficacité sur l’exploitation, à des fins de remédiation, de quelques lois de phonétique perceptuelle qui ont une portée universelle, les procédures correctives préconisées sont transposables à l’apprentissage phonétique de n’importe quelle langue et à la correction simultanée de toutes les communautés linguistiques, même si, par ailleurs, le choix préférentiel de tel ou tel procédé sera fonction des caractéristiques particulières de chaque langue en présence et des origines linguistiques du public d’apprenants. Ce principe de base fait du système verbo-tonal une méthodologie universaliste « tout public », parfaitement adaptée au travail phonétique dans les classes hétérogènes d’apprenants débutants ou avancés.
Il en va tout autrement pour l’EAO. Le recours systématique à l’analyse contrastive limite le travail phonétique à une clientèle homogène d’apprenants scolarisés dont la langue maternelle correspond à celle préprogrammée par le produit informatique et possédant déjà de solides rudiments de la langue étrangère. Or, à une époque de mondialisation où les flux migratoires réunissent dans une même classe des apprenants aux horizons géographiques et socio-culturels tellement diversifiés, la langue étrangère s’adresse souvent à des groupes hétérogènes, composés d’apprenants dont la langue maternelle peut aussi appartenir à la catégorie des langues « mineures» ou dont il est malaisé de définir la langue vernaculaire de référence. Par exemple, quelle est du wolof, du mandinke, du diola ou du peul la langue vernaculaire qui opère comme crible phonologique pour l’apprenant sénégalais en classe d’alphabétisation ? Dans quelle langue s’exprime réellement tel réfugié en provenance d’un pays multiéthnique : la langue officielle ou la langue du groupe ethnique d’appartenance? Les analyses contrastives portent rarement sur la comparaison de la langue à l’étude avec celle effectivement parlée par l’apprenant. C’est à ce genre d’investissement à fonds perdu que s’expose, par exemple, le concepteur de matériel informatique qui recourt à la représentation acoustique du vocalisme de l’arabe classique (à partir de l’égyptien ou du syrien) pour en extrapoler celui du dialectal tunisien ou marocain parlé par ses élèves.
Comme on peut le constater, les cas de figure sont tellement nombreux que conditionner le travail phonétique à la confrontation des deux langues, au lieu de se livrer à une étude diagnostique interne sur la distribution paradigmatique et syntagmatique des systèmes d’erreurs, n’est qu’une vue de l’esprit qui réserve à celui qui aborde la correction par des voies aussi détournées bien des déconvenues, car, de toute façon, la plupart des biphonies que l’on rencontre dans les matériaux informatiques sur le marché sont de nature articulatoire et, partant, d’un intérêt purement théorique, étant donné l’origine essentiellement perceptuelle et proprioceptive des systèmes d’erreurs.
6. En effet, audition et phonation sont indissolublement liées. Une perception optimale constitue un préalable à la bonne articulation. Les erreurs de prononciation sont moins reconductibles à des difficultés articulatoires momentanées qu’à une interprétation erronée du cerveau qui structure l’audition en fonction des référents maternels, dont ce qu’il est convenu d’appeler, à la suite des travaux du Cercle linguistique de Prague, le “crible phonologique”. Il convient dès lors de faire “sauter” ces cribles, de les “assouplir” par une rééducation du processus audio-phonatoire, par une restructuration de la perception.
7. Sur le plan conceptuel, les concepteurs de matériel informatique s’accordent, qui plus qui moins, à reconnaître cette évidence scientifique, sans pour autant en tirer les conclusions pédagogiques qui s’imposent. Les descriptions articulatoires basées sur une analyse approfondie des mouvements des organes phonatoires et la définition affinée des points et modes d’articulation trônent en bonne place parmi les outils d’apprentissage de la prononciation des voyelles et des consonnes ; la prononciation se travaille autant que par le passé en association avec l’écrit, dont on sait combien il s’avère préjudiciable à l’acquisition de l’oral (6); on chercherait en vain dans les logiciels informatiques pour la correction du phonétisme ou du prosodisme de la langue étrangère les procédures verbo-tonales éprouvées qui consistent à modifier, par nuancement de tous les paramètres du langage ou par la combinatoire, entre autres, les conditions de perception pour obtenir une production correcte.
8. Si nous abordons à présent la question posée plus haut par le versant concret du praticien dans sa classe, force est de constater que l’outil informatique s’avère impuissant à gérer les différentes étapes du processus de correction, car il ne possède ni l’intelligence artificielle pour accomplir toutes les opérations mentales requises par la sélection de l’erreur, l’établissement de son diagnostic étiologique et la prescription théorique du traitement, ni le savoir-faire artisanal du verbo-tonaliste pour son administration pratique.
Au stade préliminaire de l’identification et de la sélection des erreurs, il n’est pas rare, que le logiciel de reconnaissance vocale, « bridé » sur le seul critère d’ « acceptabilité phonologique », retienne comme corrects des énoncés qui ne se signalent effectivement par aucune distorsion phonologique apparente mais qui accusent de telles infractions à un mode articulatoire général et aux caractéristiques rythmico-mélodiques de la langue à l’étude qu’il en devient totalement inintelligible en dehors du contexte scolaire et requiert de l’interlocuteur natif une concentration auditive incompatible avec les conditions d’une interaction en milieu naturel.
Au stade du diagnostic, le logiciel est incapable de se livrer à une analyse étiologique (7) de l’erreur qui dépasse la simple symptomatologie de surface et qui permette de conditionner la remédiation à l’herméneutique des blocages psychomoteurs. En effet, la correction de l’erreur peut se situer à des niveaux très différents suivant que celle-ci relève d’une sous-différenciation phonologique induite par la référence inconsciente à la langue maternelle, de l’influence des lois de phonétique perceptuelle liées à la combinatoire phonétique, des phénomènes d’assimilation, de contamination transsyllabique, de l’écrit, de l’imprégnation par les cribles rythmico-mélodique, kinésique, proxémique ou de facteurs au statut heuristique encore mal défini tels que les cribles psychologiques ou argumentatifs, qui portent la responsabilité de blocages auditifs inconscients ou semi-conscients.
Mais, une fois franchi l’écueil du diagnostic et de l’étiologie de l’erreur, c’est au niveau de la prescription du traitement et surtout de son administration que l’outil informatique dévoile ses insuffisances, car les procédures de remédiation les plus efficaces sont précisément celles qui recourent à la proprioception et à la macro-motricité et qui, pour des raisons évidentes, ne peuvent être appliquées derrière un écran d’ordinateur. En effet, en dehors de la phonétique combinatoire et positionnelle, l’éventail des procédures de correction phonétique par la méthode verbo-tonale s’accompagne d’une intervention directe de l’enseignant dans l’émission des messages de l’apprenant nécessitant, outre un savoir théorique et un savoir être, l’apprentissage d’un savoir-faire technico-méthodologique de type artisanal (8) qui requiert une formation appropriée, un long « compagnonnage » en tandem avec des praticiens chevronnés.
Cependant, si les deux approches nous semblent dans l’état actuel des choses difficilement compatibles (9), elles pourraient, moyennant certaines conditions, devenir complémentaires dans le cadre d’un enseignement en présenciel ou à distance.
Le logiciel informatique conçu dans la perspective verbo-tonale peut constituer un appoint précieux, un auxiliaire utile pour la correction d’erreurs fortement fossilisées, surtout dans le domaine suprasegmental. Le suvag-lingua n’a-t-il pas été la première version technologique pour la production des optimales correctives ou pour l’acquisition des caractéristiques rythmico-mélodiques à l’aide du filtre passe-bas avec fréquence de coupure à 350 Hz pour l’élimination de la zone conversationnelle ? De nombreuses opérations de nuancements, de distorsions, de filtrages, qui agissent efficacement sur la restructuration de la perception auditive pourraient être confiées à l’ordinateur : exagération des montées et des descentes mélodiques, atténuation vocale de syllabes non accentuées, renforcement de l’accent de groupe, nuancement et ralentissement des glissandos intra-syllabiques, modification de la courbure des pentes intonatives, etc (10).
En outre l’EAO peut constituer également un outil de renforcement, de contrôle des connaissances théoriques, de systématisation, d’auto-évaluation pour l’élève, s’il survient a posteriori, une fois acquise une fluidité et une aisance de locution suffisantes, pour satisfaire la curiosité intellectuelle d’apprenants de niveau avancé qui s’interrogent sur le mode de fonctionnement des deux langues en présence.
Tout est question de chronologie et de mesure. Les développements des outils informatiques peuvent ouvrir des perspectives nouvelles à l’apprentissage de la prononciation, mais il serait regrettable de sacrifier la méthodologie des enseignants sur l’autel des technologies nouvelles et de minimiser l’importance de la formation des maîtres. Le risque est grand, en effet, que les enseignants ne se retranchent derrière les NTICE pour s’exonérer d’une véritable qualification professionnelle qui leur assure une totale autonomie et les affranchisse de ce qui pourrait bien devenir une prothèse pédagogique.
La méthodologie verbo-tonale est une philosophie humaniste de l’apprentissage des langues, une problématique et une pratique ; l’outil informatique est, comme son nom l’indique, un support pédagogique et ne saurait, comme tel, se substituer à un enseignant dûment formé, possédant à la fois savoir-être empathique et congruent, savoir-faire méthodologique éclairé et performance artisanale. C’est à l’aulne de ces trois composantes qu’il convient d’apprécier l’apport des nouvelles technologies et de les situer à la juste place qu’elles sont amenées à occuper dans le paysage de la didactique des langues.
Annexe: tableau comparatif.
Références
INTRAVAIA, P., Pour une étiologie approfondie de l’erreur phonétique, R.P.A., 108-109, 1993,239-265.
INTRAVAIA, P., La formation des professeurs de langue en phonétique corrective. Le système verbo-tonal, CIPA, Mons, 3e tirage, 2007, 284p. + 4 CD.
RENARD, R., Introduction à la méthode verbo-tonale de correction phonétique, 3ème édition, CIPA, Didier, 1979, 129p.
GERMAIN, A., MARTIN, PH., Présentation d’un logiciel de visualisation pour l’apprentissage de l’oral en langue seconde. Apprentissage des Langues et Systèmes d’Information et de Communication, 2000, Eurocall’99 : Systèmes d’information et de communication (SIC) dans des situations diversifiées d’apprentissage des langues, 3 (1), pp.61-76.http://alsic.org
Notes
(1) Les multiples opérations de segmentation, de mise en relief, de manipulation du signal, l’activation des fonctions couper/copier/coller, les « boîtes de commentaires » etc. de certains programmes informatiques sont autant de moments soustraits à la pratique effective de la langue.
(2) C’est pour ces mêmes raisons que les classes à effectifs pléthoriques déroutent moins les verbo-tonalistes que celles à effectifs restreints. En effet, la sollicitation des mêmes élèves et la rotation trop rapide des activités dans les groupes réduits, pour ne pas parler de la leçon particulière, entraînent rapidement la saturation et brûlent les étapes nécessaires au travail de maturation dans les profondeurs des acquisitions. Paradoxalement, l’individualisation en équipe du travail phonétique constitue la solution à la problématique des classes à effectifs pléthoriques, grand cauchemar des enseignants des pays d’Afrique ou d’Asie notamment.
(3) L’entrelacs des paramètres agissant simultanément sur la perception et la production de la parole est d’une telle complexité que toute tentative de convier l’élève à une explication étiologique de l’erreur se heurte à la gageure de mettre en place les prérequis théoriques qui s’y rapportent. S’il est relativement aisé (mais démotivant et stérile) de décrire les entorses aux mouvements des organes phonatoires dans l’émission erronée, par exemple, de /y/ comme [i] ou de /s/ comme [ʃ],il est autrement plus complexe ( et, par ailleurs, tout aussi inefficace) d’expliquer à l’élève la nécessité de répartir équitablement l’énergie respiratoire sur un énoncé pour obtenir la netteté du timbre d’une voyelle dans le cas d’une centralisation vocalique excessive, relâcher la tension corporelle pour produire le voisement d’une constrictive, accentuer la tension musculaire des poings pour combattre le relâchement des consonnes sourdes, etc. Comment, par ailleurs, amener l’apprenant à remonter intellectuellement à la source de l‘erreur et quelle en serait au demeurant l’utilité dans des cas où la symptomatologie superficielle cache une étiologie qui échappe parfois à la sagacité du praticien le plus averti ? Nous pensons, entre autres, à tous les cas d’erreurs par contamination à distance, par assimilation régressive ou progressive, par association d’éléments homogènes ou hétérogènes, etc. Une telle débauche d’intellectualisation s’avérerait aussi inopérante que fastidieuse pour l’élève, car la phonétique ne s’enseigne pas : elle se travaille. Tous les discours « au sujet » de la langue n’améliorent en rien la pratique de celle-ci. Sinon, tous les phonéticiens seraient polyglottes et spécialistes de phonétique corrective.
(4) Pour une analyse critique approfondie des méthodes traditionnelles de correction phonétique, cf. Renard 1979,29-43.
(5) Nous en voulons pour preuve l’impuissance avérée des apprenants à interpréter seuls les déviations pertinentes de leurs patrons intonatifs par rapport aux modèles préenregistrés visualisés sur l’écran ou sur tout autre support et, a contrario, la facilité des autochtones à reproduire les schémas intonatifs maternels dont ils peinent à se représenter la configuration graphique. Imitation d’un patron intonatif et appréhension intellectuelle de ses constituants sont deux opérations bien distinctes. Il est assez paradoxal de vouloir ouvrir l’oreille au système intono-accentuel d’une autre langue aux apprenants rendus « sourds » par la soumission inconsciente aux cribles phonologique et rythmico-mélodique de leur langue maternelle à partir d’un éventail d’activités informatiques de type réflexif qui sollicite la vue au détriment inévitable de l’oreille et du travail sur la corporéité.
(6) L’écrit compromet le processus de discrimination phonologique, dans la mesure où il anesthésie la faculté auditive et déclenche des habitudes articulatoires en fonction de la langue maternelle de l’élève. Dans l’apprentissage de la langue orale aux faux débutants, les erreurs de prononciation provoquées par la transcription graphique sont tellement invétérées que leur éradication doit passer par le recours aux logatomes (messages phoniques sans signification) pour obtenir une prononciation correcte !
(7) Dans la classe de langue, le praticien est amené à résoudre un certain nombre de questions qui sont hors de portée de l’EAO : les erreurs suprasegmentales et segmentales ont- elles été identifiées à l’écoute et dûment répertoriées ? Quels critères sélectifs adopter ? Les diagnostics sont-ils correctement posés ? L’étiologie de l’erreur a-t-elle été clairement établie ? Concrètement, s’agit-il d’une erreur indépendante ou dépendante ? L’erreur dépendante est-elle liée à des facteurs intrinsèques (assimilation, contamination à distance, combinatoire phonétique, phonétique positionnelle, structuration rythmico-mélodique…) ou extrinsèques (sous-différentiation phonologique, phénomènes de neutralisation phonologique, de distribution complémentaire, d’harmonisation vocalique etc. liés à la phonologie distributionnelle de la langue source)? L’erreur est-elle provoquée par l’écrit ? S’agit-il d’une erreur « psychologiquement sensible » induite par des crispations identitaires ?…
(8) Le verbo-tonaliste est amené à filtrer les optimales correctives des voyelles en modifiant ses résonateurs supra-glottiques, moduler les variations intonatives, contrôler les états de tension et de relâchement corporels, orchestrer les structures rythmiques, neutraliser l’apparition d’effets secondaires par l’application de procédures compensatoires, produire un modèle optimal global pour la correction simultanée de plusieurs erreurs, etc., autant d’interventions qui ne sont pas du ressort de la machine.
(9) Pour un inventaire des principales divergences entre les deux approches, cf. tableau en annexe.
(10) Dans le programme de Winpitch LTL, la fonction « ralenti » permet à l’apprenant de régler et de ralentir à sa guise la vitesse de déroulement du signal afin de mieux percevoir à l’oreille le ton descendant ou montant d’une syllabe chinoise, la diphtongue d’une voyelle anglaise ou le glissando d’un contour mélodique.
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